Raphaël Dormoy

Littérature, écriture

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04.03.2016

Il n’y a plus de place. Un point. Presque en transparence. Les deux termes se confondent quand on est dedans. L’espèce flotte. Plus exactement, elle dérive, dans le volume d’eau. Les ailes sont sans vie. Les corps semblent pétrifiés. Les yeux sont vitreux. C’est l’impact dans la vitre qui les fait bouger. Et le petit moteur qui oxygène l’eau. Éteindrait-on la lumière, l’allumerait-on, cela ne changerait rien ; rien. Leur bouche n’émet aucun son, mais produit une forme de grimace. C’est comique quand elles se touchent, car on constate derrière l’oeil, à travers la cornée, une agitation de matière noire, comme si ce contact ajoutait à l’horreur. Pourtant, elle n’a pas changé la lumière, et le peu de place qu’elle a au sein de l’espèce la magnifie plus encore.   

02.03.2016

Que veux-tu faire demain ? Certes, la petite facture. Mais encore ? Tu pourrais raccommoder les fils de ton cerf-volant. Mais il ne te porte plus guère aujourd’hui. (D’ailleurs, il serait temps de sortir la poubelle.) Mais au fait, demain c’est quand ? Il faudrait que je renverse le tiroir et tous les vieux objets qu’il contient : masques de soirée, cubes et cylindres en bois, de toutes les couleurs, un gant. Où ai-je mis demain ? Oui, demain je chercherai demain (il doit bien être quelque part !) et je le jetterai avec le reste.  

25.02.2016

Lorsque le journalisme oublie de tremper sa plume dans le feu même du soleil, ou qu’il oublie sa nature profonde d’être les rais de l’astre bondissant qui éclairent le monde et sa naissante vitalité, alors il ne produit rien qu’un tas d’immondices que le reflux de la marée et la montée du jour terminent d’assécher sur les sables. Des cadavres, des cadavres, des prospectus, et tout un fatras de fils qui vient d’on ne sait où. L’ensemble est d’une telle indécence que le regard s’en trouve amoindri — dans la contemplation du jour, et qu’un voile de tristesse tombe. À y voir de près, tous ces déchets, tous ces cadavres, tous ces fils forment d’étranges personnages, d’étonnantes figures, de drôles de paysages, qui se muent parfois en signes abstraits. Lorsque la nuit redevient maîtresse des lieux, des feux follets au-dessus de ces tas abandonnés paraissent, faits d’une lumière froide, presque incandescente. L’irisation provoquée par ce tableau d’ensemble conditionne le volume nocturne. L’esprit s’agite alors, produisant des constellations fébriles ; la vision du rayonnement de la mer fait goutter le corps à grosses perles ; et la sensation de froid délivrée par ce paysage maladif se conjugue à celui de la nuit, raidissant le corps, syncopant le rythme de la respiration, faisant trembler tous les muscles. Au matin, le corps se précipite sur la langue de sable, cherchant, au milieu des cordes et des déchets, quelques indices — mais lesquels ? La main frotte le sable, encore mouillé, effaçant par son mouvement sa propre trace. Bientôt pris dans les rets de ces éléments disparates, s’enfonçant, s’enfouissant, s’agitant pour s’en détacher, se pressant, se dressant, voilà la corps frappé d’une horrible douleur. Le corps s’asphyxie, et plus il pousse plus il tire, plus les liens se resserrent. Les plus chanceux continuent malgré tout de déambuler, passant sur la plage et paissant, formant des sortes de monstres archaïques au gré des ordures qui les couvrent, et qu’ils traînent, au milieu des déchets du jour, et qui dans la nuit phosphorent de concert, dans un étrange et lent ballet.    

19.02.2016

Il est dur d’émettre un cri, à moins qu’il soit en accord. Mais en cas, il fait silence et offre au lieu son harmonie. Il est dur d’émettre un cri. Les fenêtres — peut-on appeler ça des fenêtres ? — sont en trompe-l’œil. Mais il est clair parfois qu’un rayon traverse. Un rayon de lumière. Cet état est presque magique, pourtant bien réel. Cet état est béni. Alors, la pensée s’apaise et rend grâce. Tout le reste du temps s’organise autour de la survie de ces lieux. Le mot survie peut paraître paradoxal, mais il arrive que le sol se dérobe, que le corps soit happé dans une mare d’obscurité — qui prend des formes inouïes, — qui prend l’être à ses racines. Aussi violent et douloureux soit-il, le phénomène se résorbe. Ma vie s’organise entre ces failles, de sorte à maintenir l’illusion de ces murs. On entend beaucoup crier, taper contre les pierres. Les pierres de ma cellule ont un mouvement mécanique, et selon des dispositions précises, elles s’ouvrent et se ferment. Je ne sais pas si mon passage en cet état de solitude, ou si les jours finissant par faire épaisseur, montrent la réalité telle qu’elle se déroule selon ses propres lois, ou si les lois de la corporalité s’ajoutent au réel et le transforme, mais ce que je vois lorsque je m’étends au-delà de ces murs m’offre une perspective sans volume. Tous les corps sont plats, par la régularité mécanique de leurs mouvements, et de leurs habitudes. Ce phénomène est aussi effrayant que sensé. La solitude, c’est peut-être l’absence de cri. Moi-même, je m’efforce au quotidien de maintenir la régularité des mécanismes de ma cellule. Et par la force des choses, acceptant leurs lois, je me transforme aussi. Personne n’est apte, je crois, à déterminer ex nihilo la configuration de l’endroit qui finit par l’habiter. On ne se rend pas vraiment compte avant que les éléments s’acheminent vers leur point d’équilibre. Peut-être la solitude contribue-t-elle à créer le volume, l’espace respirable en ce volume. Force est de constater qu’aucune parole n’est sortie de ces murs. Aujourd’hui, je rêve d’une solitude sans murs. Une solitude qui traverse les murs sans pour autant déplacer les pierres ni annihiler leur matière. Mais pour l’instant, je me contente de ces rais de lumière qui parfois entrent dans ma cellule. Ils valent tout l’or du monde, et beaucoup plus que ces ouvrages d’art, que tous ces ponts que les hommes élaborent, qui font que les solitudes et les non-solitudes se rencontrent.  

07.02.2016

Les corneilles – maîtres du ciel, vont, comme des fruits à coque, au-dessus des deux rangées d’arbres qui bordent l’allée, tandis que le ciel éclaire l’allée d’une lumière douce. Les lampadaires en son milieu sont toujours éteints. Des prunus découvrent leurs premières fleurs, des feuilles tendres éparses vêtent quelques broussailles, et des merles en différents lieux de l’allée émettent leurs cris, annonçant la précocité du printemps. Ici, et peut-être est-ce le fait de la lumière, la perspective se renverse de manière si radicale que la limite est plus immédiate que ce qui entoure ; et les grues de chantier, quel que soit leur nombre, et leurs directions, resteront étrangères à cela. Je dois convoquer ce qui fait naître ce mouvement intérieur, car les pensées suivent parfois des voies non familières. Et ce renversement si radical de perception, je crois bien que c’est l’extrême limite du monde, annonçant l’éclosion des couleurs et de la vie. Les lampadaires s’allument dans le soir. Les cris d’un enfant se mêlent aux mouvements de cloches zélés, et je crois bien avoir entraperçu deux vieux s’appuyant sur une canne, à présent que les corneilles regagnent les branches.

13.01.2016

Nul signe — et pourtant. Cela s’arrêterait ici. Mais il manque un rivage, un endroit où déposer l’étranger, un lieu où il puisse respirer — avec nous, — synchrone, à pleins poumons. Un lieu qui lui rappelle l’état et non la traversée. Un point fixant la mémoire, une partie du trésor quand ce dernier vient à manquer, que le soleil s’éloigne, et que la nuit nous enfonce plus en elle déployant ses pièges.  

12.01.2016

Quand on sait que la poésie est cet élan vers, et que nous nous échinons tous à vouloir le mettre sur toile dans le cadre de l’époque, je me prends soudainement à rêver à elle, visiteuse de ce pauvre musée, qui verrait nos croûtes. Qu’adviendrait-il ? Un soupir ? une larme ? une émotion artistique ? Quelque chose qui soit formé du goût de l’époque, et de nos souffrances ? Trouverait-elle, portant ses mains à sa joue, une plaie de la taille d’un pouce ? La toile aurait-elle une magie pour la rendre captive ? Nul ne sait, mais tout l’amour d’un coeur sincère ne vaut pas sa présence. 

02.01.2016

Savourer la vie par les petits détails. 
Rien, en fait.
Rien de beau ou de joyeux, 
rien qui élève l’âme
ni ne retranche à la tristesse.  
Rien, pas même un détail
ni la fougue amoureuse (mais là-dessus, devrais-je dire désir, comme quand on lorgne un beau et gros cul,  ou le pied joliment apprêté qu’on confondrait avec le haut du cornet,  sa crème glacée, ou sa pointe, croustillante).
Rien, rien de tout ça.  Pas même un détail ni le reste. Rien – o vieil impie.
Ni la légèreté. Rien. Mais un rien qui soit équitable où que le regard porte,  
comme un rocher au milieu de la rivière, sans eau, près du pont.

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