Voir, revoir
Voir à nouveau le présent,
Voici mon espérance !
Le présent, immédiat
Le présent d’avant le présent
Le présent « joueur » ;
joueur, écrivez-le à votre guise,
Mais si vous l’écrivez
Séparez bien les lettres, mettez-y du vide
ne vous laissez pas dompter par la chaise.
A vous asseoir, riez
Chaque fois que le mouvement de vous asseoir s’opère, riez.
Riez. Riez riez riez !
Mais il est déjà tard :
Je suis assis dans la chaise et la chaise vit en moi.
Le présent s’éloigne.
Catégorie : Poèmes (Page 1 of 25)
Journal des poèmes
Le soleil entre jusqu’au rêve
Corps conscience, écuelle,
Tous les chiffons de la veille baignent encore,
tandis que le corps a repris le chemin du jour.
Trains en retard, lignes se défaussent ; qu’y pouvons-nous ?
Le soleil dans la vitre rêve-t-il parfois,
Se prend-il pour une étoile, lointaine,
tandis que partout les hommes ont réveillé le jour
Ont secoué ses puces.
C’est le même, vingt ans après dans le miroir
Le même : la même posture Ce jeune homme refait surface Avec Ses mêmes
questions ses mêmes ouvertures
Quoi le ressuscite ?
Peut-être une posture
Le manteau n’est plus le même mais la présence des manches de ce manteau ancien est plus réelle sur sa peau que celui qu’il porte, que le corps du train, ou celui de la plaine.
Le reflet de la vitre ne renvoie rien de son visage ; il est le paysage du matin, hivernal, avec ses arbres nus, ces murs en meulière, ces fils qui longe la vie.
Le reflet de la vitre du train ne renvoie rien de son visage si ce n’est un fin croissant : de lune, de paysage.
Ce jeune homme est le même.
Rien n’a changé
Mon corps commence à me lâcher
Je vois mal, mais je vois plus mal qu’avant.
Comme des microfissures sur un papier de soie
Je sens aussi être plus seul qu’autrefois, mais pas de cette solitude voulue, recherchée, arrachée au bruit de l’époque
Je suis seul
Je vieillis
C’est aussi évasé que la partie haute d’un vase, ouverte aux volumes des lieux, de la pièce
J’accueille les conversations alentour, mots échangés entre inconnus entre familiers sur le quai de gare
Les petits culs sont les bourgeons du printemps
Il y a aussi des sauterelles, élancées, affamées de vie.
La vie, quel usage en faire ? Quelle lumière ?
Assurément, celle du désir, celle des heures brûlées pour être brûlées.
Autrefois ma naïveté me protégeait de cet effroi
celui d’entendre mon voisin de table discuter du prix effarant du concombre
Ou des taux d’intérêt d’une assurance-vie, dit ma bouche
Je pouvais en faire quelque chose, un poème, une idée légère qui se dissipait aussitôt
Mais avoir les yeux presque éteints, le regard terne, accomplir la destinée d’un avire (autant lui enlever sa lettre) devenu épave, et aller au milieu de la mer, sans horizon sans équipage, rien ne m’avait préparé à cela.
Le reflet finit par dessiner dans la vitre une image nette et la rouille a envahi tout le portrait,
Le visage est une faible mémoire.
Je rêverai d’un banc en bord de mer
Échouer là. Sans mémoire.
Les poissons se cachent-ils pour pleurer ?
Pour qui comptons-nous vraiment ?
Et quoi seraient-ils prêts à retirer de leur vie ceux pour qui nous comptons.
Dites-le moi.
Il est tard. La réponse ne fut jamais claire.
C’est aussi peu réjouissant que d’attendre un coucher de soleil devant un mur.
Couler avec grâce ou à défaut et de sagesse,
Incarner la grâce du phénomène.
Que reste,
Quel reste ?
Le jour pointe.
: Une interrogation ?
Mais une interrogation douce sans question
aucune.
Une exclamation, mais une exclamation
en deçà de la langue.
Deux points : ouverts comme un oeil — neuf
de trois jours sans langage
Une virgule, parce qu’il en faut des virgules
Vent, épis, et vient le point (,)
parce que tout recommence.
Il resterait : deux points, une virgule dans les mains
Cette exclamation sous la langue
Et cette interrogation sans question.
Le jour pointe.
Sans se rendre
Sans rendre
Sans se rendre compte
Sans rendre des comptes
La matière jour pose ses feuilles sur le socle du temps
Et les yeux d’aujourd’hui ne sont plus tout à fait
les yeux de demain.
Plusieurs vies se succèdent, l’homme d’hier
n’est plus l’homme du jour.
Pourtant, l’enfant demeure.
Combien de barreaux tiennent-ils à l’échelle,
Combien de vivants souvenirs ?
Un pas de plus, un pas encore.
Venu pour le spectacle.
Les incidents de parcours sont nombreux.
Les volets ne s’ouvrent pas.
Pourtant en chaque instant il est cette possibilité
d’un autre lieu d’un autre paysage,
C’est toujours un événement.
Mais ici le spectacle est déjà rangé : la lumière inonde la scène.
Ici, il fait nuit.
Pourtant en chaque instant la vie est une promesse d’aube.
La vie serait en colimaçon,
Chaque fenêtre resterait close, la suivante attend —
Attention à la marche.
Bien, saluer la foule et la beauté,
Mais de quelle manière ?
Allons voir : je produis “l’état de grâce”…
Certes à présent il n’est plus rien à comprendre, et la beauté transmuée en mystère se tait. Nous sommes sauvés.
Mais ouvrons les yeux : et regardons la situation bien en face des trous
Et, à quoi faire, coiffeur, que dire ?
Construire des ponts, d’une rive à, d’une rive, l’autre ?
Se laisser amadouer une fois encore par l’étoffe d’une femme ?
Avoir la nostalgie des petits riens, – des vivants souvenirs ?
Et si tout ceci n’est plus que lettres, que lointain souvenir, enfouissons-les à nouveau et réarmons le silence.
Et finalement, remercier.
Ecrire peu. Crire peu. Rire beaucoup. Mais de quel rire ? Compter les étoiles. Contempler les distances entre elles. À travers les paupières closes. Je vois le ciel d’étoiles. Je les vois, malgré les murs les villes (, les âges ?). N’est-ce pas notre condition première, ce don de voir ? Nous sommes grands. Et les mots formeraient des éboulis, ou des pierres si l’on retranche l’esprit.
Le froid à tout envahi
C’est l’heure de l’hiver de la dormance
Le monde des humains produit ses bruits qui encombrent.
À côté de moi, un homme rassure une femme dans son téléphone : “Mais non tu n’es pas dépensière.” Puis : “La prochaine fois qu’on se voit, tu t’habilles sexy.”
L’humain est fat. Mais peut-être la fatuité est-elle le coussin premier sur lequel s’asseoir, quand on sait le fil de notre histoire – fragile, qui pend dans le néant.
Une odeur de nourriture grasse envahit le wagon, et toutes les nouvelles encombrantes du monde encombrent.
“Tu vas kiffer cette photo, ajoute-t-il. Je vais t’envoyer mes objectifs capillaires dans l’ordre en commençant par les cheveux. Quoi, tu ne te rases pas la chatte ? C’est fade, ajoute-t-il, quelques secondes après.”
Mon téléphone sonne.
Mais il reste la lumière.
Les yeux rougis, vitreux avinés d’un homme dévisagent le visage d’une femme, puis il la déshabille du regard. Dans le wagon, la voix enregistrée égraine sa litanie de stations.
Mais il reste la lumière.
Et ces deux talons hauts.
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