Littérature, écriture

Catégorie : Journal des rêves

25.07.2022

J’ai beau garder les yeux ouverts, les rêves circulent encore. Je les vois : des rêves, des vieux rêves, d’anciens rêves, des transcriptions, prennent vie. À cet instant de la nuit, multiples, épars – comme l’activité d’un grand port, dirait-on, à la croisée des mondes. Je pourrais les compter. Et ils sont si nombreux. Entre les rêves et les instants de vie, il s’agit d’une immense cité où toute pensée s’affaire , ainsi que des souvenirs, de ma jeunesse, exacts – des moments si parfaitement exacts, que la crainte serait de ne pas vivre la vie qui se présente. Que se passe-t-il à cet instant de la nuit, à cet instant de la pensée pour que tout jaillisse d’un coup, pour que tout d’un coup émerge ? Mille, cent milles, et chaque nouveau rêve que la pensée reconnait. Il faudrait un grand plateau sur lequel s’asseoir et voir tes yeux au centre.

 

11.11.2021

Cette nuit, j’ai rêvé que j’étais chez le dentiste, chez la dentiste, eh bien, je n’avais rien : Impeccable. Dentition totale et parfaite. Pour une fois, mais la première. J’étais allongé sur le fauteuil, la dentiste était derrière moi ; elle me serrait dans ces bras. Tout va bien, me dit-elle. Par ailleurs dans ce rêve, j’avais le poil court : cheveux ras sur les côtés, très denses, racine impeccable. Bref, un vrai sourire de cheval. La suite irait bien.

Avec le songe d’Adèle

Cette nuit, je discutais avec le songe en lui expliquant mes difficultés à publier. La première était que le travail était si délicat qu’une écoute de travers risquait de tout corrompre. Et qu’ensuite, le travail n’avait plus besoin d’être publié, ne représentait pas l’état des matières à venir. Est-ce peut-être pour cela qu’il existe une table des matières dans les livres de bon usage ? Ensuite, je n’arrivais pas à dormir dans le rêve, car quelqu’un avait allumé une ampoule au-dessus de mon lit. Par ailleurs dans le rêve, il n’était pas possible de vivre dans la lumière, comme l’hôte, ses yeux de fillette, ne la supportait pas. J’avais dû avancer deux ou trois autres arguments au songe, sur l’orgueil et la vanité de publier, étant incapable de lui citer mon ami Pierre Drogi sur cette dernière pesée. Et que par conséquent, je n’étais pas en pouvoir de délivrer quoi que ce soit. Un peu comme un arbre auquel on commanderait de commander aux saisons, parce qu’il perd ses feuilles en automne et produit ses fruits en été.

(Vers le 15 juin, par là)

04.11.2018

J’ai fait un affreux rêve. Un rêve affreux. Comme une chute sans fin. Pris au piège de je ne sais quel sortilège. Dans le rêve, je ne faisais plus aucun travail. J’étais condamné à errer. On imagine l’errance comme une marche sans but. Sauf qu’ici dans le rêve, je ne pouvais me rendre nulle part. Le rêve me commandait, ou me condamnait aussi, à vivre dans la partie la plus sombre, la moins ensoleillée du monde. Mon amie Valérie prenait soin de moi, et me réchauffait les jambes et le corps. Je rêvais d’un monde qui n’existait plus, incapable d’agir dans le rêve ni sur ses lois, si bien que tout semblait plus réel que dans la vie éveillée, et que le réveil ne serait ni plus ni moins qu’une plongée plus assidue dans ce cauchemar.

22.08.2018

Certaines zones sont difficiles d’accès. La nuit qui survient est comme une couverture. Chaque bâillement est une épreuve, qui vous enfonce un peu plus dans la nuit ; un peu plus dans le loin ; un peu plus dans l’absence. Chaque bâillement vous fait perdre en force ; il faut le double ensuite pour surmonter le suivant. Le corps est déjà dans les rêves, a déjà basculé. C’est une chute. Durant la nuit, c’est une chute ; comme un courant d’eau qui vient taper les contours de rochers. Le rêve fait jaillir profusion de rêves. En ouvrant les yeux, c’est la mi-nuit : c’est l’obscurité, le grand silence. Le corps se croit régénéré. Le chat alangui sur la couverture ne pipe mot. Son ronronnement invite à replonger la tête dans la taie. Le corps se rendort. Le surlendemain, c’est la même faille : une seconde partie de la nuit aussi riche que la première, avec un débit de rêves qui vous porte à l’épuisement ; avec de drôles d’équations sans résolution possible, qui vous portent jusqu’au petit jour. Les yeux clignent. Le soleil est déjà haut. La maisonnée s’active. Vous sortez du lit, épuisé. Par la fenêtre, en bas, au pied du muret, on peut voir le lavoir ancien, riche de verdure, sec à la lie. 

12.08.2018

Cette nuit, j’ai fait le rêve d’une grande voiture bleue. Une longue et large Cadillac. Le rêve était particulièrement clair, la route particulièrement nette, si bien qu’il n’y avait pas de discontinuité entre l’éveil et le rêve, même si en ouvrant les yeux la Cadillac continuerait sa route. La Cadillac était bleue. Était-ce une Cadillac ? C’était une belle voiture bleue, sans roues. Elle roulait dans les airs, au-dessus de la route. Une belle voiture bleue, couleur ciel ; elle lévitait, parfaitement silencieuse. Et moi, j’étais à l’arrière de la voiture, debout dans les airs, sous le parechoc, les mains accrochées au chrome, dans la confortable position des nageurs, en bord d’eau, se reposant près de l’échelle, sans effort de poids. Et je glissais. Et nous avancions, ma Cadillac et moi. Cela fait longtemps que je n’avais plus fait un rêve aussi net que celui qui se présente, comme si l’œil était extérieur au rêve, un rétroviseur dont la seule fonction est de réfléchir la lumière. Il me souvient du pot d’échappement, dont je respirais quelques particules. Mais ces particules étaient en fait un succédané de la vie éveillée, un article de presse, de la précédente journée. Au réveil, alors que je quittais mon lit, je savais que ma belle Cadillac continuerait de rouler.

distorsion du continuum

J’ai fait un cauchemar, un cauchemar terrible. Je rêvais que je devais prendre l’avion. Mais dans le hall des départs, les guichets n’existaient plus. Je ne reconnaissais plus l’endroit. Il n’y avait que des machines, et un steward affable prêt à vous aiguiller. Les billets qui s’affichent sur l’écran sont hors de prix, et je n’ai plus un rond. Je suis bloqué. Dans le rêve c’est affreux. Peu avant, me rendant à l’aéroport à pied, je rencontre le regard d’une femme ; elle me remet aussitôt un billet de vingt. « C’est très gentil de votre part, mais pourquoi donc ? » C’est l’oeil, me dit-elle, j’ai vu, je n’ai pas réfléchi. Son duvet m’interpelle. Je me réveille. Je conçois alors, en ouvrant les yeux, que la réalité est le rêve. Je regarde mes pieds. Le pouce qui sort de la chaussette est sale et pathétique. Je l’agite. Je conçois alors que la réalité est un filtre et que le filtre agit comme un sortilège. Sortilège, dis-je en sortant du lit, dont je dois me réveiller.

Essai sur la transcription – Journal des rêves (2013-2014)

La transcription des rêves suit une voie que la voie elle-même ignore. Par transcription, il faut entendre dans une carrière psychique, alchimie des fioles qui font jaillir l’exact souvenir. J’en bâille, je présume qu’il s’agit d’un encouragement. Souvenir dynamique et non pas souvenir rapporté. Là est la nuance, la faille océanique, le lien sismique. Le souvenir rapporté risque de faire échouer l’entreprise aussi vrai que la méduse supposée n’est bientôt qu’un sac plastique échoué sur une plage. Transcrire, c’est faire confiance au réel. Transcrire relève d’un ordre mystérieux, cependant exact, aussi vrai que le sujet refait l’expérience de sa finitude en ouvrant les yeux. Transcrire relève d’une forme qui réalise sa forme. Transcrire relève du diamant qui connaît son sillon. Je bâille une fois encore, est-ce bon signe ? On n’entre pas dans le sommeil comme on se jette en politique. Transcrire nécessite foi et persévérance, effacement et discrétion. On n’entre pas dans le sujet comme on entre dans un œuf à la coque. Transcrire est gratuit. Transcrire est ingrat. Transcrire nécessite de coller à l’exact réel. Nulle autre manœuvre que de faire jaillir les rêves déjà rêvés. Mais me direz-vous, comment puis-je être sûr de ce que j’avance ici. Eh bien c’est justement ce qui fait la différence entre la transcription et le souvenir, entre le spectateur et le commentateur, entre le saut et la perche. En art le doute est à la fois masse de l’objet et sa résistance. Transcrire c’est être en mesure de verser le cha dans l’aiguille et de se piquer au je : « Aïe » disent les Anglais. Transcrire c’est fuir cette époque qui a décimé les rêves, la forme, l’art, les mots, l’intelligence au profit de ce qui ne dort pas, de ce qui erre, de ce qui réfute l’art et la vie, la cycle et la durée et la gradation des couleurs. Transcrire c’est aller au-delà du souvenir, c’est-à-dire du paysage entraperçu à l’instant de l’éveil.

10.04.2014

06/12/2013

Dans l’effondrement, j’ai fait ce rêve, ce merveilleux rêve. Je découvrais des formules de guérison. Comment les découvrais-je ? J’étais l’Univers, pardi ! Ce n’est pas exact. J’étais là où tout se tait à la bordure de l’Univers. C’est très étrange comme état. Et dans le rêve je découvrais des formules de guérison. Chacune de ces formules, sitôt sue, avait le pouvoir de déplacer le corps et de le soigner. Ce n’était pas une expérience de décorporation du corps dans la pièce où le corps s’est endormi, mais l’expérience d’une décorporation du rêve dans le rêve lui-même. Irrésistible point d’appui, que la volonté consciente reconnaît. Il me semblait que toutes ces formules de guérison étaient des anges, chacune de ces phrases déplaçait l’être dans une localité particulière. Des phrases simples dont il ne me reste rien au réveil. Comment les cueillais-je ? Je ne sais pas. Les fruits invisibles. Tout le reste était tristesse. Les forêts brûlaient. Des éléphanteaux venaient encore se baignaient parmi les hommes.

Journal des rêves, Le sourire des anges

© 2024 Raphaël Dormoy

Theme by Anders NorenUp ↑

%d blogueurs aiment cette page :