Dans la salle d’attente du pédicure, il est une tortue. Une grosse tortue qui ressemble à un crapaud. C’est une tortue de Floride, dans un bac de 90 cm par 45 environ. Elle est dans un coin de l’aquarium. Elle avance, elle avance dans le coin sans cesse. Dans le coin extérieur, celui qui donne sur l’intérieur de la salle d’attente. La salle d’attente fait la taille d’un carré de 2 m par 2 m environ. Le sol est constitué de petits carreaux de 2 cm, qui sont bleus, blancs, bleu marine. Je suis assis sur l’unique chaise qui fait face à l’aquarium sur sa longueur. Sur la porte d’entrée, entre moi et l’aquarium, l’écriteau Sortie est posé. Je suis pris d’une grande compassion pour cette tortue qui se débat sans cesse dans le coin extérieur de l’aquarium. Mon cœur se serre à la vue de cette tortue. Elle a des motifs à carreaux sur le dos. Le volume sonore qui emplit pièce est l’eau qui coule en continu, qui fait bouger l’unique pierre en équilibre, les mouvements de griffes de la tortue sur la paroi sont en revanche silencieux, mais les coups de la carapace à chaque mouvement se répètent. Dans la pièce à côté, là où officie le pédicure, ça discute cor : cor dur et cor mou, corps qu’on râpe et vacances à Cordoue. C’est la première fois que je me rends chez le pédicure. Je me mets à éprouver une terrible compassion pour la tortue. Peut-être est-elle heureuse ici ? Pourquoi vais-je lui attribuer mes sentiments. Mais je ne peux pas croire que sa vie se résume à ça. Ça remue sous mes chaussures. Ce décor de salle d’attente, pauvre à souhait, doit être fantastique pour elle, au sens premier – non ? Si cette tortue met sa vitalité, toute sa force dans le coin extérieur de l’aquarium, que ces mouvements incessants la soulèvent en pure perte, si ce n’est de se dépenser, n’est-ce pas pour s’échapper d’une localité où les forces en présence, physiques et obscures, la maintiennent ? Par quel miracle réussirait-elle son évasion ? L’énergie qu’elle met dans l’instant me renvoie à notre condition, où les uns les autres, prisonniers de leur localité, finissent par abdiquer ; où chacun finit par trouver son point d’équilibre. Ainsi la vision des mouvements de cette tortue, si tant est que l’homme soit au mouvement, et sa localité dans l’aquarium, ne sont pas sans me rappeler les paroles d’où chacun émet. Alors, à quel endroit du monde sommes-nous – réellement. Et faut-il aller chez le pédicure pour en causer ?