Raphaël Dormoy

Littérature, écriture

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26.09.2018

Je ferme les yeux, 
Je ferme les paupières sous le soleil.
L’environnement retrouve sa clarté.
Les cris d’enfants, les joies de pelles, retrouvent leur clarté première. 
Les bruits s’entremêlent dans cette clarté joyeuse.
Un instant suffit pour tout perdre,
pour voir le château disparaître.   
Mystère enfui, enfoui sous les sables.  

 

07.09.2018

Fenêtre entrouverte, le houx luit autrement. Le houx, dans l’entrebâillement de la fenêtre, propage un peu de son éclat dans le houx de la vitre. Ce n’est pas le même houx, dirait-on, qu’autrefois. De même il en va des troènes, dans la fenêtre entrouverte, dont les branches bougent derrière celles du houx, lentement. Si le vent était langage, réussirait-il à mouvoir ces lettres? Fenêtre entrouverte, chair du monde. 

25.08.2018

Être vieux, c’est être moins souple,
Plus d’accès.  
La lune est cachée par le parasol. 
C’est la même nuit, le mystère en moins.
Être vieux, c’est attendre dans un paysage qui sert de décor 
Sans horizon, ni trompe-l’oeil, 
Et ordonner ses affaires 
dans l’attente d’un grand voyage
où tout restera à quai. 

 

22.08.2018

Certaines zones sont difficiles d’accès. La nuit qui survient est comme une couverture. Chaque bâillement est une épreuve, qui vous enfonce un peu plus dans la nuit ; un peu plus dans le loin ; un peu plus dans l’absence. Chaque bâillement vous fait perdre en force ; il faut le double ensuite pour surmonter le suivant. Le corps est déjà dans les rêves, a déjà basculé. C’est une chute. Durant la nuit, c’est une chute ; comme un courant d’eau qui vient taper les contours de rochers. Le rêve fait jaillir profusion de rêves. En ouvrant les yeux, c’est la mi-nuit : c’est l’obscurité, le grand silence. Le corps se croit régénéré. Le chat alangui sur la couverture ne pipe mot. Son ronronnement invite à replonger la tête dans la taie. Le corps se rendort. Le surlendemain, c’est la même faille : une seconde partie de la nuit aussi riche que la première, avec un débit de rêves qui vous porte à l’épuisement ; avec de drôles d’équations sans résolution possible, qui vous portent jusqu’au petit jour. Les yeux clignent. Le soleil est déjà haut. La maisonnée s’active. Vous sortez du lit, épuisé. Par la fenêtre, en bas, au pied du muret, on peut voir le lavoir ancien, riche de verdure, sec à la lie. 

18.08.2018

C’est une allée, un parc, un jardin. C’est une invitation à s’asseoir. Une fontaine coule à côté du banc. Le banc est situé dans la partie la plus reculée, la plus ombragée, du jardin. C’est le séjour des hortensias. Une lumière douce caresse les vêtements. Le badaud qui s’assoit profite de la fraîcheur, des plantes que les rayons du soleil touchent, de la fontaine qui clapote, et des buis sculptés, l’un en forme d’hélice, l’autre en forme de sphères, de la plus grande à la plus petite. Trois tritons séjournent dans la fontaine, rocaille. L’esprit flotte, à moins que le jardin ne flotte lui-même. Lumière accentuée par le calme et calme accentué par le bruit des jets d’eau. L’esprit finit par se déplacer, ainsi que le jardin, ainsi que le monde. C’est un ici qui se délie de la fiction. L’esprit peut goûter toutes les saveurs du monde qui s’offrent à lui comme faisceaux d’indices et de délices. Le monde n’est plus représentation du monde. Et le corps n’est plus à côté du monde, mais dans sa part la plus obscure. À cette mélodie que les tritons font jaillir, s’ajoute, entre les rideaux d’instants, le chant discret d’un merle. Dieu, quel paradis. Le gardien s’approche du promeneur, du rêveur, et dit à l’homme de bien de retrouver ses esprits, le jardin, qu’il est l’heure de quitter, de se lever, que le jardin va fermer.

12.08.2018

Cette nuit, j’ai fait le rêve d’une grande voiture bleue. Une longue et large Cadillac. Le rêve était particulièrement clair, la route particulièrement nette, si bien qu’il n’y avait pas de discontinuité entre l’éveil et le rêve, même si en ouvrant les yeux la Cadillac continuerait sa route. La Cadillac était bleue. Était-ce une Cadillac ? C’était une belle voiture bleue, sans roues. Elle roulait dans les airs, au-dessus de la route. Une belle voiture bleue, couleur ciel ; elle lévitait, parfaitement silencieuse. Et moi, j’étais à l’arrière de la voiture, debout dans les airs, sous le parechoc, les mains accrochées au chrome, dans la confortable position des nageurs, en bord d’eau, se reposant près de l’échelle, sans effort de poids. Et je glissais. Et nous avancions, ma Cadillac et moi. Cela fait longtemps que je n’avais plus fait un rêve aussi net que celui qui se présente, comme si l’œil était extérieur au rêve, un rétroviseur dont la seule fonction est de réfléchir la lumière. Il me souvient du pot d’échappement, dont je respirais quelques particules. Mais ces particules étaient en fait un succédané de la vie éveillée, un article de presse, de la précédente journée. Au réveil, alors que je quittais mon lit, je savais que ma belle Cadillac continuerait de rouler.

05.08.2018

Non, je ne suis pas mort. Mon regard n’a rien perdu de sa superbe. Je souris. À présent que je marche, que j’ai loisir de marcher, – et gare aux jaloux, aux loups, aux feux, au tigre de Bengale –, je peux, à la différence du pigeon qui – objectivement – semble être complètement désaxé, je peux, je peux marcher et, chaque fois que je pense à l’avenir, c’est de manière inadéquate, puisqu’il s’agit de ne pas me concentrer sur le présent, mais de légitimer quelque chose du passé, d’un avenir qui n’a pas eu lieu dans le passé – ce contrat que je n’ai pas eu, cette femme que je n’ai pas embrassée  – en gros, au détail, au prix de gros, des occasions pour la plupart choisiment manquées, et au diable les étiquettes, les oriflammes, ces tue-mouches, les ouvre-boîtes, les boîtes de conserve, et toutes ces images qui me collent à la peau, oui au diable, concentrons-nous sur le présent, ô joie, quant à l’avenir, laissons le présent nous emballer.  

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