Raphaël Dormoy

Littérature, écriture

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26.01.2025

Le néant qui se manifeste à mesure. Paradoxalement, la disparition amène la beauté toute réelle. Pourrait-on dire qu’un mort est beau ? Un mort est froid. Le baiser que vous portez au front de l’être aimé saisit vos lèvres, vous glace tout entier si vous restez plus longtemps. Nous pourrions dire qu’un mort est beau en ce sens qu’il n’est pas mort, pour celui ou celle que nous aimons, que sa lumière subsiste, comme nous sommes aussi petite lumière parmi les vivants que nous reconnaissons. Non, je ne parle pas de cette disparition radicale, qui saisit au bord du : précipice/précipité, qui marque une rupture. Je parle je pars de cette agrégation de temps qui passe, qui dessaisit l’être de sa chair, de sa vitalité ; de celui qui fait l’expérience de sa, de sa perte ; eh bien, celles et ceux qui lui ressemblent, mais le précèdent, eh bien ceux-là pourtant lui paraissent, malgré la disparition de l’image, malgré l’effondrement de matière, et la perte d’usage, et bien ceux-là portent pour qui sait le reconnaître, ceux-là portent les gestes d’une innocence première, d’un visage  sorti du temps, non pas figé par celui-ci dans un souvenir lointain, mais d’un visage ayant gagné la porte du temps, qui vous regarde là où vous êtes, à vous battre contre la vague, contre l’embrun, contre la perte. Alors oui, les flots seront souventefois plus durs, mais là où nous allons, vers le point ou la constellation : quelle importance ?

 

10.01.2025

Tout ce qui va de soi ; ce qui rassure. Comme le langage.
Comme le lent gage de la personne qui, soufflant un peu, avant de s’asseoir, décroche son ; d’une manière naturelle, vieille de mille siècles ; décroche son : sac de l’épaule ; sa lanière ; l’ôte du pouce ; avant de, d’une manière naturelle qui dit : je peux ôter mon sac et m’asseoir ; d’un geste su ; je peux ôter mon sac de l’épaule et m’asseoir ; dans le siège, dans le siècle ; m’y balancer, souffler un peu, fermer les yeux.
Tout ce qui va de soi, et qui rassure. Dans le TER, les voyageurs sont assis, à lire, tousser, à pianoter sur le portable. Cela ne va pas de soi de se retrouver là ; cela peut être drôle. Mais la terreur ? Le vertige qui sépare la représentation, de l’endroit.
D’où la nécessité de s’occuper, de manger des chips, de frapper son gamin avec ses paroles, de scroller sans cesse. C’est dur.
Alors cette lanière que le voyageur peut : ôter du pouce, dans un geste : convenu, cette lanière que le voyageur peut quitter ; cette lanière qui rassure.
Tout ce qui va de soi et qui rassure. Jusqu’à la corporalité elle-même, à double tranchant : monstrueuse et nécessaire.
Comme la question : irréductible.

 

03.02.2025

Je suis enfermé dans le cauchemar des jours. Je suis prisonnier du corps. À moins que le corps soit prisonnier de moi ; vasque ouverte sur le monde. Je n’ai pas vraiment choisi d’être ici ni aujourd’hui. Et toute l’information traitée, autour de moi, fait peu pour mon confort. Être sur une île déserte ajouterait à mon désarroi. Je laisse passer à travers mes yeux, deux vifs sourires sauvages et timides. D’un noir précieux. Il faudrait imaginer le corps comme une caverne, comme un abri, habité par deux félins, toujours libres de la quitter, ici et maintenant pour la grande aventure.

 

12.01.2025

J’aime voyager dans le sens qui n’est pas le sens de la marche. C’est-à-dire, entrevoir qu’une couleur spéciale serait possible, celle d’un présent ressuscité. Le dire avec mes mots me ferait replonger invariablement dans le passé, je veux dire dans l’épaisseur d’un quotidien et d’un temps parfaitement rangés pour accomplir des tâches parfaitement stables, comme ces tables en bois, d’artisan ou de couturier, disposant ici et là de petites rangées de tiroirs, avec leurs boutons en métal, qu’on tire, qu’on ferme. L’instant d’ailleurs que j’évoque tiendrait dans l’un d’eux, ou peut-être dans le tiroir central, large, profond, celui dans lequel serait rangée la matière précieuse vouée à l’oubli. Mais la chose est déjà vite oubliée : Je voyage dans le sens de la marche malgré le fait que je lui tourne le dos. Mais je me souviens qu’il existe un point quelque part, à tâtons dans le tiroir, dans l’un des tiroirs, qui aurait la texture de celui posé ici.

 

03.01.2025

Je suis dans le train. Il vient de s’arrêter en gare de Valence. Je retourne à Paris. Virgile est à côté de moi. Il lit un livre et mange un biscuit. Je lève les yeux. Je sais être nulle part. Mais la pression est trop forte le train s’est rempli. Il est beaucoup de bruits. Une fillette colorie un cahier. Bientôt, elle apprendra l’écriture. Et un jour, si elle est courageuse, elle désapprendra tout. La dérive est inouïe entre l’instant où nous sommes et la trajectoire. L’écart est épuisant. J’aimerais rester ici. Mais tout commencerait par une parole. Je ne sais pas ce que montre l’intérieur de mes yeux. Ni l’expression de mon visage. Peut-être ressemblé-je à un rocher tant j’ai fini par taire. Peut-être faudrait-il considérer l’espace lui-même, le train, ne pas abandonner sa structure, et le remplir d’une autre couleur. Comme la fillette qui colorie son cahier bleu. D’autres voient d’autres circonstances : ceux qui voient par delà les astres ; ceux qui voient dans les liens. Mais est-ce insoutenable de voir ici ? Pourquoi oublie-t-on ici ? Et pourquoi le train se prête-t-il à ce genre de manifestation ? J’ai envie de partager mon questionnement avec l’inconnu du train, que nous partagions le même, un instant, l’instant dans un instant, mais aucun inconnu du train ne me regarde dans les yeux. Il sort des bulles de ma bouche.

 

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