Que pourrais-je voir à quoi je ne sois pas attentif. Je suis attentif aux personnes, à leur posture, à quelques informations, panneaux, à une atmosphère d’ensemble… “Attention, freinage puissant” est-il écrit à côté de la porte automatique, ou encore “Cédez votre place”. Mais je manque à chaque fois les détails, comme par exemple le motif du siège sur lequel la passagère face à moi est assise, ou la forme des poignées de sustentation, ou le nombre de stries du soufflet entre deux wagons. Mais surtout, il est cette chose qui m’échappe toujours, qui échappe à chaque fois, qui tient en cette phrase, salvatrice quand elle se rappelle à moi : Tout va bien, je suis arrivé. Oui, je suis arrivé. Où que le train aille, où que j’aille. Alors, je peux ralentir… Je peux souffler…
Mince ! mon arrêt.
Catégorie : Poèmes (Page 1 of 33)
Journal des poèmes
Je suis arrivé. Je suis arrivé.
Il faut voir les choses en face.
Je suis arrivé, point. Le long voyage a pris fin.
J’y suis. Cela peut paraître étrange,
d’entendre cet homme, assis sur un banc,
répéter sans cesse : Je suis arrivé.
répéter sans arrêt : J’y suis.
On pourrait presque croire qu’il voyage encore
et que ces paroles qu’il clame sont l’espérance qu’il se donne
pour sauter d’un train.
Il se lève et s’assoit.
Il y aura toujours une attente,
Toute phrase précède un devenir
Toute phrase est un devenir.
Le lecteur est attentif pour les tenir, bout à bout
Et voir la flamme dans le circuit noueux de brindilles.
Il y aura toujours une attente
Cette flamme, dans les yeux de l’enfant, s’explique-t-elle ?
Elle est comme un rêve
On brûlerait sa langue de l’approcher, la faible précaution la ferait perdre, et nous fuirions celui ou celle qui substituerait son cœur danse, dansant, de paroles, inutiles.
Il y aura toujours une attente
On peut la porter, dessus l’index et le pouce, et la mettre en signe avec des feux follets dans la forêt du songe.
Pourtant, il suffit de la regarder, une et nue.
Il y aura toujours une attente
Et c’est ainsi.
Tentative : les deux points
Mais le soleil darde ses rayons, les désarme toutes.
Mes paupières agissent comme parenthèse
La phrase prend l’air
Mon sourire soupèse le vide ;
J’accueille le regard des voyageurs comme une obole.
La chimère d’un hérisson traverse le couloir
Est-il un sourire, un soleil qui s’ignore ?
Je l’attrape entre mes points :
Le RER est une phrase qui s’ignore.
À présent, je sais être nulle part
Il suffit de fermer les yeux (non de baisser les paupières)
D’apprécier la même pièce, dans son étrangeté
Ce n’est pas être tout à fait nulle part
C’est être ailleurs, ici.
C’est donc ça vieillir ?
Ne plus être ce ressort roulant, tendu
Accepter la circonstance.
Ôter du verbe « hauteur »
Ouvrir grand les portes :
Se mettre à échelle
Sinon franchir et le seuil resteraient en paume
Qu’aurait-on gagné : deux grains.
Franchir fait rêver
Qui verrait rapporterait-il ?
Perdre ou sauver ?
Elle pourrait être dite sur tous les tons, cette phrase
Du halo de lumière à sa cire.
L’éteindre, est-ce la perdre ?
Le fil reste tendu
Et le nuage est une espérance d’eau, qui dit :
La feuille reste blanche.
Pierre écrase peau
Sommeil long
Tous les corps sont figés dans l’éboulis des jours
La mort délivrerait
Herbes grasses le long de la voie
le long des rails, luisante
Poissons ferrés ou suffoquant le long le long
(Tout le monde semble rêver d’aquarium)
La virgule frétille.
Je quitte ma lecture. Je ne peux l’empêcher. Assis dans le RER je lève les yeux. Je les ferme. Je lève les yeux. Le dire ne suffit pas. Mais le vertige est grand. Jubilatoire. J’en ai mal aux dents. Pourquoi oublierai-je ? Est-il une communauté du dire ? Ou moins ou mieux. Une communion. Chaque mot serait flamme. Comment arrive-t-on ici ? Entre deux moments, le lieu luit, n’a pas changé. Il est une évidence.
C’est vrai,
J’avais oublié.
J’avais oublié.
La ponctuation à son importance.
Cela se joue ici, entre la lettre et la virgule, entre l’espace et la lettre, entre l’espace et le signe ; (peu loin)
Entre la représentation de l’endroit et l’endroit, entre l’endroit et sa représentation ; aux marges de la trace, dans la trace elle-même : quand la boue creuse la flaque et la flaque le ciel.
Non que le ciel soit sous les yeux, mais c’est tout comme, sous la paupière (fermée), quand le nulle part apparait, malgré malgré.
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