Littérature, écriture

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24.11.2024

Que pourrais-je voir à quoi je ne sois pas attentif. Je suis attentif aux personnes, à leur posture, à quelques informations, panneaux, à une atmosphère d’ensemble… “Attention, freinage puissant” est-il écrit à côté de la porte automatique, ou encore “Cédez votre place”. Mais je manque à chaque fois les détails, comme par exemple le motif du siège sur lequel la passagère face à moi est assise, ou la forme des poignées de sustentation, ou le nombre de stries du soufflet entre deux wagons. Mais surtout, il est cette chose qui m’échappe toujours, qui échappe à chaque fois, qui tient en cette phrase, salvatrice quand elle se rappelle à moi : Tout va bien, je suis arrivé. Oui, je suis arrivé. Où que le train aille, où que j’aille. Alors, je peux ralentir… Je peux souffler…
Mince ! mon arrêt.

09.08.2025

Je tiens un grand texe, dit-il faisant voler les feuilles. Je tiens un grand texe, ajoute agite-t-il en tous sens. Il traverse, sort, respire grand, s’assoit sur un banc, contemple les nuages, même si se présente, à son regard, la seule couronne verte et dense du copalme d’Amérique dont les trois pieds ombragent la place. Ah ah, clame-t-il, même si ce n’est qu’un unique sourire qui se dessine sur ses lèvres. Ah oh, s’aventure-t-il, en voici la preuve flagrante : ce grand texe m’a fait sortir de mes feuilles, de mes déboires, de mes rythmes, de mes soucis, les cela, pour m’asseoir sur cette place. Cette place réelle à l’ombre du monde, qui tient le monde tel un point ferme sur la page. Ah oh ah, fait-il encore tout en malice roulant vers la passante une œillade complice. Texe ; voyez comme il coule de source, d’une eau cristalline tandis que le vent bat une mesure, délicate, sur les feuilles, l’écorce, le corps, de son souffle enveloppant. Ainsi le rêveur, ainsi le poète, un rien l’habille. Ôter lui ses illusions, que resterait-il ? Ni les nuages derrière la couronne des arbres, ni ces interjections, ni l’air cristallin. Il resterait un homme, encombré de feuilles, de textes en déshérence, posés sur une table, et la petite place de la rue Hericart serait restée, à cet instant, tout à fait vide, sans cet homme pour crier oh ah derrière un sourire sincère, vers des nuages rêvés, aux formes éloquentes, dans un ciel tout à fait bleu.

10.01.2025

Tout ce qui va de soi ; ce qui rassure. Comme le langage.
Comme le lent gage de la personne qui, soufflant un peu, avant de s’asseoir, décroche son ; d’une manière naturelle, vieille de mille siècles ; décroche son : sac de l’épaule ; sa lanière ; l’ôte du pouce ; avant de, d’une manière naturelle qui dit : je peux ôter mon sac et m’asseoir ; d’un geste su ; je peux ôter mon sac de l’épaule et m’asseoir ; dans le siège, dans le siècle ; m’y balancer, souffler un peu, fermer les yeux.
Tout ce qui va de soi, et qui rassure. Dans le TER, les voyageurs sont assis, à lire, tousser, à pianoter sur le portable. Cela ne va pas de soi de se retrouver là ; cela peut être drôle. Mais la terreur ? Le vertige qui sépare la représentation, de l’endroit.
D’où la nécessité de s’occuper, de manger des chips, de frapper son gamin avec ses paroles, de scroller sans cesse. C’est dur.
Alors cette lanière que le voyageur peut : ôter du pouce, dans un geste : convenu, cette lanière que le voyageur peut quitter ; cette lanière qui rassure.
Tout ce qui va de soi et qui rassure. Jusqu’à la corporalité elle-même, à double tranchant : monstrueuse et nécessaire.
Comme la question : irréductible.

 

16.01.2025

Et après, Peut-on envisager le vide entre les deux syllabes ?
Peut-on envisager depuis, entre les deux
Une plante serait la réponse circonstancielle
Dans les gravats
La question n’aurait pas de phrase pour l’habiller,
La plante serait la couverture comme le reste des vies
Mais nul ne la poserait
Tout vivrait dans la béance,
Ce serait un rêve sans séquences
Aux balbutiements de la clarté ;
Mais l’étonnement ne serait-il pas l’état premier ? 
La vie chercherait le chemin pour se penser ?

 

09.11.2024

De peu de mots faire la terre, le ciel, la mer. Vois mon pouvoir. Être ailleurs, c’est donc que cet ici ne suffit pas ? Ou que cet ici permet d’être ailleurs ? Le bloc vient de bouger, un bloc mal scellé de mots ; l’extraire : « Être ailleurs, c’est donc que cet ici ne suffit pas ? Ou que cet ici permet d’être ailleurs ? » Mais alors, quoi se vêt derrière ce bloc ? Quoi se meut dans cette obscurité ouverte ? Où la main elle-même devient main sans être main, quoi se cache ici comme le bras pénètre sans que bras y soit. Et, quelle est la vertu de ce tapis sur lequel mes pieds, ma main droite, le bout de mes doigts sont posés. Quelle est sa vertu de chose que l’intellect nomme tapis ? Quel est cet ici dans le corps dans lequel le corps interroge cet ici ? Quelle vertu donner aux mots ? Quelle vertu donner à : cette chose qui pose des mots, à cette chose qui tient entre ses mains l’enregistreur. Quelle est cette chose qui à l’aide de l’ouïe de l’œil d’une langue, de cette unité, décide de mettre sur pause l’enregistreur pour connaître, pour savoir quel silence entoure les mots, qui permet de les mettre l’un après l’autre. On comprend que c’est la tension du silence sans laquelle les mots chuteraient, tomberaient, que c’est la tension du silence qui : ouvrage. Et en toute chose, il reste la fascination de ce bloc de mots, mal scellé ; non du bloc lui-même, mais de l’espace noir rendu à cette liberté d’y mettre une main sans main, un bras sans bras, ce trésor d’obscurité comme ceux qu’on découvre parfois dans le mur des maisons anciennes.

26.10.2024

Faire l’effort, cela fait longtemps, tiens. Évidemment je ne me souviens de rien. Il me souvient du chemin, mais pas de l’état. Du moins j’imagine l’état. J’hésite. J’ai envie de rester là, à l’entrée ; comme une puissance au seuil. À moins que le charme se soit estompé, que l’enclos soit clos, – que je sois condamné à rester là, dans cet espace-temps : une réalité, quelconque. Évidemment tout porte à croire : l’automne, les murs, la date. Le ballon. Même le passant avec son air mélancolique, qui passe derrière la grille du parc.  Tout me porte à rester là, sur ce banc, entre la corde à sauter – son mouvement hélicoïdal, et le ballon – les passes ; entre les deux béquilles. Impossible de sortir d’ici pour le moment. Mon voisin met un sens inouï pour faire exister son mouvement de ballon, ses passes à son fils, son fils lui-même. Il crie, il est bruyant, il explique ce qu’il fait. Il frappe le ballon. À présent la lumière dévoile l’or du platane. Un bruit lointain fait celui d’une trottinette qui pleure. Et, je suis censé moi-même être assis, sur ce banc, dans le square René-Le Gall, à côté d’un arbre remarquable. Bref, tout est signifiant ; rien n’y échappe. À force de ne plus l’ouvrir, il est possible que le temps ait verrouillé la porte. Je suis bien quelque part, parmi les passants, les perruches, la robe de mariée qui passe dans le ciel, la paréidolie des nuages. Je suis bien quelque part, dit l’homme. Je n’arrive plus à voir, à travers mes yeux, le néant, pas plus qu’à entrer dans l’éternité ; à faire corps avec. Cependant, ce qui se présente depuis tout à l’heure me convient tout à fait. L’espace-temps est remarquable, malgré la douleur du pied, la vue faiblarde, je n’ai rien à changer du lieu. Me proposerait-on d’être ailleurs, je ne saurais quoi ajouter. Le mouvement des perruches, leurs cris, me rapproche insensiblement de l’espace entrouvert, entre l’ici et le monde des morts. Quoi que cet ici ne soit plus tout à fait le même : l’enclos s’est ouvert, et le sujet sourit. Dans le parc, sur l’asphalte, l’enfant fait rebondir un ballon sur son genou. Ça y est, je vois. J’ai vu. 

05.09.2024

Regarder la pluie. J’ai cette chance, aujourd’hui. Regarder la pluie. Et l’entendre. L’entendre. On la voit mieux tomber devant l’arbre. Un pin fait de ces traits penchés, de quelques degrés par rapport à la verticalité du ciel. Et les gouttes, suspendues au bord de mon balcon, à des feuilles. J’ai cette chance ; voir la pluie tomber. Avoir le loisir d’avoir ce temps, pour la contempler. Et l’entendre. Être hors du monde et l’entendre. Le volume se baisse, le ciel s’éclaircit, mais on voit toujours les traits penchés, plus fins sur le pin. Réussir soi, cette fois-ci à faire une de soi une goutte – goutte suspendue de soi – tandis que le temps coule, que les roues des voitures laissent entendre l’adhérence pressée de leurs passagers, que les sirènes vont d’un bout à l’autre de la ville, comme les habitants du ciel.
Être cette goutte : suspendue.

01.08.2024

L’habitude, c’est de finir par se sentir chez soi dans des lieux d’habitudes : pour moi, une gare (cette gare), un bureau (mon bureau), des arbres en bord de Seine (le paysage à la fenêtre). Alors pour celui qui se sent chez lui dans un lieu neuf, ou qui se sent très chez lui dans le nulle part (, mais ici, dans cette cette gare), il est une sorte de tendresse à poser ce même regard dans un lieu d’habitudes, à reconnaitre ce lieu dans toute son étrangeté, et sa familiarité, et à profiter de ce voyage, de ce petit écart, assis sur le quai, dans l’attente du train qui ne vient pas.

19.08.2024

Faire un selfie avec mon téléphone, même médiocre, me rappelle que je suis vivant. Je n’ai pas besoin de ce portrait pour savoir que je le suis. Mais il donne une image. Il s’agit moins de l’image que de l’acte lui-même, d’abord l’image puis rétroactivement le geste qui conduit à l’image. Ce geste n’est-il pas la somme des humains qui sur Terre chaque jour prennent un selfie ? Mon geste est dérisoire. Vaut-il plus qu’un portrait devant la Tour Eiffel ? Un portrait sur un lit d’hôpital, dans la lumière crue de la chambre, le visage pâlot. Ouvrons les volets. Rusons face au néant, tantôt d’une photographie, tantôt de notre disparition : laissons la lumière entrer.

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