Littérature, écriture

Catégorie : Journal (Page 4 of 15)

16.09.2024

Il faut prendre le mot et le tordre, surtout ne pas suivre ce que montre l’œil, ce que montre le torve, ne pas tomber dans le piège, et conséquemment tomber dedans, dans l’œil. Ouvrir le mot : ce qui spontanément ouvre les rêves. Au bout d’une forme, le mot ne revient pas en son état antérieur. Le mot reste là abandonné, laissé comme une épave à l’intérieur du parking. Les rêves continuent d’entrer ci et là, comme on cligne des cils sans faire l’effort du paysage. Lequel attraper ? Le propriétaire peut-il nous rencontrer ? Le propriétaire d’une maison devenue plus réelle que la mienne à cet instant du rêve. J’imagine qu’il en va de même pour tout : pour tout ce qui nous tient, dans notre quotidien. Je parle des soucis, des dettes. Aussi réels que cet instant de rêve. Comment les gens font-ils pour se reposer, pour que leurs jambes au milieu du mouvement ne restent pas en l’air, qu’ils en sortent, qu’ils se reposent vraiment. Tous ces mots à la fin du jour représentent certainement les cadavres de certains bonbons que le corps a juste léchés. Par conséquent, la journée de demain sera aussi douce qu’aujourd’hui, et sera délayée de tous les éléments compliqués ; les admirateurs pourront naturellement s’y baigner.

 

31.10.2024

L’époque n’attend rien ; elle nous fixe. Cela fait si longtemps que je suis là que je ne sais plus bien si le monde ressemble à ce qu’il était. Elle écrase beaucoup de nous comme il faut libérer. On peut voir le ciel étoilé, se soumettre à sa perspective, à la profonde heure, à l’absence même de direction, au vertige, le ciel ne nous sait pas plus qu’un sol qui se met à saigner. En même temps, celui qui croit tient la bougie dans sa main, qui reste main quelle que soit la circonstance. Les grains de poussière assèchent la peau, mais l’homme tient encore au miracle jusqu’au haut de la lumière. Le ciel étoilé reste silencieux, dit l’enfant. Parmi les points, il jette une virgule. Et puis, tu pourrais apprendre à respirer avant la suivante inflexion du corps. L’époque nous a fixés aux chaises. On les espère à roulettes, qu’elles nous emmènent au dernier salon et qu’elles nous fassent en un claquement de doigts plonger là où l’air est bon. D’autres se satisferont d’une image pieuse, plutôt que jouir de l’espace vide collé aux sens qui rassure, quand d’autres rêveront le lieu dans un magazine, et s’offriront le carré blanc, en attendant la fin qui ne vient pas, qu’on repousse chaque jour. Il est ce siège – Il faut savoir apprécier, l’évaluer – dont chacun doit saisir la portée avant de porter sa vie dans ses aspérités. Il faut être solide, mais pour combien ? Le soir est déjà là que le matin s’éveille, que l’enfant a grandi, que le visage ne ressemble plus à celui que soi avait construit de soi. Il faut faire avec et prendre chacun de ces « Il faut faire avec » pour confectionner un filet de pêche ; accepter la condition, à la condition que soi ait l’avantage du premier pas, non de la direction, mais dans la certitude que le premier pas n’est pas désappropriable. Et qu’au contraire il faut apprendre à marcher dans ce premier pas comme l’enfant qui glisse dans le toboggan. Dans la direction, choisie par le fait qu’elle amorce son mouvement. Les paroles sont des herbes hautes, qui caressent votre corps, qui vous caressent le visage, qui caressent le corps. Cela suffit à rendre digne la plage. Mais alors quelle publicité ferait-on ? Elle serait aussi ridicule qu’une idée complexe. La posture nous sauvre le livre, l’écrit, et donne peut-être à la page une dureté de coque, et pourquoi pas friable, gourmande.

26.10.2024

Faire l’effort, cela fait longtemps, tiens. Évidemment je ne me souviens de rien. Il me souvient du chemin, mais pas de l’état. Du moins j’imagine l’état. J’hésite. J’ai envie de rester là, à l’entrée ; comme une puissance au seuil. À moins que le charme se soit estompé, que l’enclos soit clos, – que je sois condamné à rester là, dans cet espace-temps : une réalité, quelconque. Évidemment tout porte à croire : l’automne, les murs, la date. Le ballon. Même le passant avec son air mélancolique, qui passe derrière la grille du parc.  Tout me porte à rester là, sur ce banc, entre la corde à sauter – son mouvement hélicoïdal, et le ballon – les passes ; entre les deux béquilles. Impossible de sortir d’ici pour le moment. Mon voisin met un sens inouï pour faire exister son mouvement de ballon, ses passes à son fils, son fils lui-même. Il crie, il est bruyant, il explique ce qu’il fait. Il frappe le ballon. À présent la lumière dévoile l’or du platane. Un bruit lointain fait celui d’une trottinette qui pleure. Et, je suis censé moi-même être assis, sur ce banc, dans le square René-Le Gall, à côté d’un arbre remarquable. Bref, tout est signifiant ; rien n’y échappe. À force de ne plus l’ouvrir, il est possible que le temps ait verrouillé la porte. Je suis bien quelque part, parmi les passants, les perruches, la robe de mariée qui passe dans le ciel, la paréidolie des nuages. Je suis bien quelque part, dit l’homme. Je n’arrive plus à voir, à travers mes yeux, le néant, pas plus qu’à entrer dans l’éternité ; à faire corps avec. Cependant, ce qui se présente depuis tout à l’heure me convient tout à fait. L’espace-temps est remarquable, malgré la douleur du pied, la vue faiblarde, je n’ai rien à changer du lieu. Me proposerait-on d’être ailleurs, je ne saurais quoi ajouter. Le mouvement des perruches, leurs cris, me rapproche insensiblement de l’espace entrouvert, entre l’ici et le monde des morts. Quoi que cet ici ne soit plus tout à fait le même : l’enclos s’est ouvert, et le sujet sourit. Dans le parc, sur l’asphalte, l’enfant fait rebondir un ballon sur son genou. Ça y est, je vois. J’ai vu. 

05.09.2024

Regarder la pluie. J’ai cette chance, aujourd’hui. Regarder la pluie. Et l’entendre. L’entendre. On la voit mieux tomber devant l’arbre. Un pin fait de ces traits penchés, de quelques degrés par rapport à la verticalité du ciel. Et les gouttes, suspendues au bord de mon balcon, à des feuilles. J’ai cette chance ; voir la pluie tomber. Avoir le loisir d’avoir ce temps, pour la contempler. Et l’entendre. Être hors du monde et l’entendre. Le volume se baisse, le ciel s’éclaircit, mais on voit toujours les traits penchés, plus fins sur le pin. Réussir soi, cette fois-ci à faire une de soi une goutte – goutte suspendue de soi – tandis que le temps coule, que les roues des voitures laissent entendre l’adhérence pressée de leurs passagers, que les sirènes vont d’un bout à l’autre de la ville, comme les habitants du ciel.
Être cette goutte : suspendue.

01.08.2024

L’habitude, c’est de finir par se sentir chez soi dans des lieux d’habitudes : pour moi, une gare (cette gare), un bureau (mon bureau), des arbres en bord de Seine (le paysage à la fenêtre). Alors pour celui qui se sent chez lui dans un lieu neuf, ou qui se sent très chez lui dans le nulle part (, mais ici, dans cette cette gare), il est une sorte de tendresse à poser ce même regard dans un lieu d’habitudes, à reconnaitre ce lieu dans toute son étrangeté, et sa familiarité, et à profiter de ce voyage, de ce petit écart, assis sur le quai, dans l’attente du train qui ne vient pas.

19.08.2024

Faire un selfie avec mon téléphone, même médiocre, me rappelle que je suis vivant. Je n’ai pas besoin de ce portrait pour savoir que je le suis. Mais il donne une image. Il s’agit moins de l’image que de l’acte lui-même, d’abord l’image puis rétroactivement le geste qui conduit à l’image. Ce geste n’est-il pas la somme des humains qui sur Terre chaque jour prennent un selfie ? Mon geste est dérisoire. Vaut-il plus qu’un portrait devant la Tour Eiffel ? Un portrait sur un lit d’hôpital, dans la lumière crue de la chambre, le visage pâlot. Ouvrons les volets. Rusons face au néant, tantôt d’une photographie, tantôt de notre disparition : laissons la lumière entrer.

04.10.2024

Ainsi on se souvient des paramètres du bord
Température, lumi- ; saison, date ;
Sensation (et pourquoi pas Impressions) ; et ce qui (camion de pompier, journal, pigeon) roule ou qui
Point fixe (textures matières)
Mais surtout il y a ce banc ; et le capitaine posé sur le banc
Et Il est une grande fixité : Où allons nous ?
Et la question a-t-elle (en cor) un sens ?
Ici, tous les moyens de transport : avion, train, montgolfière Seraient exposés
Hauteur – clair horizon,
Vitesse – sifflante joyeuse,
Lenteur – élévation ;
Pour revenir, il suffit de mettre aux noms aux choses délicatement une date
Vêtir le platane de son habit de platane,
Dévêtir ce banc ;
Dévêtir les passants de leur force sauvage,
Revenir atterrir dans le monde des intentions premières.

29.09.2024

La question de la page. Des années ont passé ; c’est toujours la même question, interrogation. Par question, il faudrait peut-être entendre cette paupière — où est-elle située —  qui s’ouvre sur la surface blanche — comme horizon du coeur ; comme lieu d’une intériorité qui se courbe à cet instant de m’y convoquer. Un messager sans message. J’ai souvent espéré ramener ici, et mon dieu c’est ici, le trésor sous mes yeux, mais peut-être est-il trop lourd, peut-être écrire c’est apprendre à danser, avec plus de poids qu’aucun âne ne saurait tirer. Mais quand j’ouvre les yeux, je comprends que cet ici se présente, et qu’écrire et vivre sont deux inséparables. Le monde sourit dans sa farce totale. 
J’ai tenu la page.  

28.07.2024

Mon rêve serait d’avoir une heure comme un tiroir. Une heure parmi les heures du jour. Mais une heure qui serait un tiroir qui échapperait au jour lui-même. Un tiroir magique, en ce sens que le jour, les événements du jour, n’auraient nulle emprise sur lui ; qu’il passerait inaperçu. J’ai regardé l’extrait d’un reportage d’un chauffeur routier qui dépensait tout son salaire en prostitués en Espagne. Il faisait la route des bordels, et que dans chaque bordel il ouvrait une porte, deux portes, trois portes, l’une après l’autre, le même mouvement de queue, la même enseigne, la même joie. Mais mon tiroir ne ressemble pas à cette joie. Puisque c’est un tiroir Ailleurs. Il serait un métier à tisser qui ferait un ouvrage, dont le principe ferait que je reprendrais cet ouvrage à l’endroit laissé, et je le continuerais sans me perdre, sans m’emmêler les doigts ni le fil. Mais qu’il suivrait un patron, parfaitement solide, qui échapperait à la conscience des jours. Une heure creuse, creusée dans la roche, qui vérifierait les ruisseaux et le pli de la montagne. Une heure creuse qui contiendrait cette fois-ci tout le merveilleux et la densité consciente de l’être. Un ouvrage qui n’aurait pourtant pas d’histoire à raconter, mais qui serait faite d’une aventure, mais une aventure faite d’un fil d’or. Un ouvrage que je pourrais reprendre à n’importe quel moment du jour, de l’éveil ou du sommeil. Un ouvrage qui gonflerait à mesure de son avancée, comme une immense toile. Un ouvrage qu’il ne serait pas possible de finir au prix de perdre soi-même, sa boussole et la lisière. Il ne pourrait pas être un ouvrage d’une folle ambition, sans quoi l’aventure échouerait dès la première ligne, dès le premier mot. Un ouvrage humble, à portée d’une phrase dans laquelle le lecteur pourrait se glisser en toute confiance malgré le vide sous elle, malgré le vertige. Un ouvrage dans lequel le lecteur pourrait avancer aveuglément sans avoir peur de perdre son âme ou son temps. Un ouvrage qui n’ôte pas l’espace aux autres vivants, mais qui les tiennent à portée de main. Un ouvrage qui garderait sa flamme quel que soit l’instant du jour, ou de la nuit à laquelle il serait repris, qui ne vous rendrait jamais seul malgré l’épreuve du recueillement. Un ouvrage qui serait lu ou pas lu, mais qui tiendrait cette place à part, à côté du cœur.

 

15.07.2024

Je suis passé de l’autre côté. Je passe de l’autre côté. Je passe. J’y suis. J’oublie trop souvent que cet autre côté est ici ; ici même. Que l’antichambre des rêves est dans cette pièce. Qu’elle est là, le jour durant. Qu’il suffirait de le savoir. Bientôt, je basculerai de l’autre côté, je veux dire dans l’espace du sommeil tandis que les rêves sont déjà là, comme une flamme sous les yeux, comme le poisson qui nage tranquillement dans l’aquarium. On aura peut-être oublié le poisson au réveil, mais pas les nombreuses clés qui restaient là, et accrochées sur la porte des vestiaires. La littérature est un encouragement à sortir de la voie, à suivre la sienne.

 

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