Littérature, écriture

Auteur/autrice : rd (Page 49 of 53)

05.10.2016

Autrefois j’aimais la plage. Autrefois j’aimais la plage. Mon plaisir était double, inouï. Les autres ne comprenaient pas. J’avais du mal à mouvoir mes lèvres qui tremblaient. Pis, je répétais. Répétez ! me disait-on. Autrefois j’aimais la plage. Et il fallait deux fois à l’autre pour comprendre mon plaisir, sans jamais rien sentir. Autrefois j’aimais la plage. Moi, c’était ma façon heureuse, méthodique, mélodique, de dire à l’autre mon plaisir. Autrefois j’aimais la plage. Autrefois on ne s’encombrait pas. On laissait ce qui comptait. Moi, j’avais le sentiment d’encombrer avec mes deux bagages.

29.06.2016

Aujourd’hui, mes heures gagnées étaient : un rayon de soleil perçant le soir ; les pas d’un enfant explorant le monde, et son centre de gravité ; puis, à et instant de me coucher, le livre posé sur ma table, que je ne lirai pas ; enfin ce moment – ouvert. Si je mets bout à bout ces éléments, cela fait : six secondes pour le premier, trois pour le second, deux pour le troisième, et les secondes actuelles ; soit moins d’une minute aujourd’hui. C’est peu. Mais si ce rayon de soleil n’était pas venu, si l’enfant ne m’était pas apparu, alors ma journée n’eût connu nulle grâce, et je serais resté au seuil du monde et de moi-même, la porte fermée. 

23.06.2016

Avez-vous remarqué qu’on peut lire un texte, sans rien lire de sa suite ; sans rien décoder, continuant la lecture mécanique comme le sillon sur sa dague. Cette phrase ne veut rien dire, mais après tout, pourquoi pas. Les cloches sonnent les vêpres une fois par mois. Et ce genre de souvenir me fait voir l’onduleux pas des vaches. La tâche est tombée sur ma chemise ; je suis étourdi c’est ma faute. Je lis sans faire attention. Le livre disparaît à nouveau, nous sommes au soleil, il fait parasol. Personne ne peut toucher le soleil, mais tout le monde peut s’embrasser avec la langue. Ce n’est pas une question d’origine, mais d’impulsion de départ, quand les cartes sont redistribuées, comme au billard. On frôle le strike. 

19.05.2016

La vie est si précieuse — notre champ, ses possibles — qu’il est dommage d’entrer dans l’image. Mais c’est ainsi, point. Le sommeil nous apporte son lot de rêves, et — et l’image se meut alors ; les masses de feuilles s’agitent, des indices de chemins s’entrouvrent, et tout ce qui faisait contours nets fait taches et couleurs ; taches et couleurs par lesquelles le corps lucide voit et se meut. Soleil, les paupières s’ouvrent ! Et l’instant onirique flotte un instant encore avant de se résorber. Il est l’heure, en route ! On enfile une chemise, attaché-case, coup de peigne ; le corps s’élance. En route, vite : la journée sera longue. Un chat, assis sur le bord de la fenêtre, ouverte, voit l’homme s’éloigner dans le jardin, ouvrir le portail et repartir dans l’image, avant de refermer les yeux et de rêver. 

18.05.2016

Je quitte mes soucis. J’interroge les rails du métro. Bruit, sons. “Invalides”, “Invalides”, dit la voix deux fois. Les corps s’effacent jusqu’aux mollets. Des pieds entrent et sortent. Allez, quoi ; mon corps se gonfle à nouveau. Position ouverte, respiration ; décrochage. Tout le jour, un corps de réalité me traverse. Il n’est que la nuit pour faire tunnel, me dégager de son flux. Les gens toussotent. Les portes se ferment, les portes s’ouvrent. Attitude, gestes, regards : vaincues, postures vaincues. Les rails sont crissantes, mais la vision est lointaine : songe encarté dans son propre reflet. Je te salue Lazare !, “Saint-Lazare”, dit la voix deux fois. Station debout, je descends.    

distorsion du continuum

J’ai fait un cauchemar, un cauchemar terrible. Je rêvais que je devais prendre l’avion. Mais dans le hall des départs, les guichets n’existaient plus. Je ne reconnaissais plus l’endroit. Il n’y avait que des machines, et un steward affable prêt à vous aiguiller. Les billets qui s’affichent sur l’écran sont hors de prix, et je n’ai plus un rond. Je suis bloqué. Dans le rêve c’est affreux. Peu avant, me rendant à l’aéroport à pied, je rencontre le regard d’une femme ; elle me remet aussitôt un billet de vingt. « C’est très gentil de votre part, mais pourquoi donc ? » C’est l’oeil, me dit-elle, j’ai vu, je n’ai pas réfléchi. Son duvet m’interpelle. Je me réveille. Je conçois alors, en ouvrant les yeux, que la réalité est le rêve. Je regarde mes pieds. Le pouce qui sort de la chaussette est sale et pathétique. Je l’agite. Je conçois alors que la réalité est un filtre et que le filtre agit comme un sortilège. Sortilège, dis-je en sortant du lit, dont je dois me réveiller.

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