Littérature, écriture

Auteur/autrice : rd (Page 49 of 53)

distorsion du continuum

J’ai fait un cauchemar, un cauchemar terrible. Je rêvais que je devais prendre l’avion. Mais dans le hall des départs, les guichets n’existaient plus. Je ne reconnaissais plus l’endroit. Il n’y avait que des machines, et un steward affable prêt à vous aiguiller. Les billets qui s’affichent sur l’écran sont hors de prix, et je n’ai plus un rond. Je suis bloqué. Dans le rêve c’est affreux. Peu avant, me rendant à l’aéroport à pied, je rencontre le regard d’une femme ; elle me remet aussitôt un billet de vingt. « C’est très gentil de votre part, mais pourquoi donc ? » C’est l’oeil, me dit-elle, j’ai vu, je n’ai pas réfléchi. Son duvet m’interpelle. Je me réveille. Je conçois alors, en ouvrant les yeux, que la réalité est le rêve. Je regarde mes pieds. Le pouce qui sort de la chaussette est sale et pathétique. Je l’agite. Je conçois alors que la réalité est un filtre et que le filtre agit comme un sortilège. Sortilège, dis-je en sortant du lit, dont je dois me réveiller.

08.04.2016

Les gens passent leur journée à boucher le réel. C’est leur boulot, leur travail, leur mission. Ils sifflotent, on se lance le sable, les briques, la truelle. On sifflote. Durant le jour, on bouche les trous comme on peut. Le soir, quand on rentre chez soi, le mur est terminé. La nuit bien sûr déconstruit le mur. Le ciment se dissout et les rêves circulent entre les briques à venir et celles du passé. Le matin on refait le même. Au boulot ! on sait faire, on est bon, pourquoi changer ? 

de la texture télévisuelle

Il y a toujours quelque chose de daté dans l’image. Dans l’image des téléviseurs. Non pas dans le contenu traité — mais dans l’épaisseur de l’image. Il y a une tendresse à voir ces images passées à nouveau défiler dans l’écran ; par la mémoire des événements qu’elles suscitent, par la texture de l’image aussi ; laquelle fixe les faits au moment de la technologie des faits — double jointure. Il y a le présentateur aussi : sa mine sympathique, ou son costume désuet, nous renvoient au corpus de la mémoire, au-delà de l’information traitée, au-delà de la technologie en cours ; le modèle de téléviseur que nous possédions au moment de le regarder sourire, la pièce où nous étions au moment de l’entendre tousser, les événements de notre vie qui s’y déroulèrent, ou tous ces autres souvenirs prenant appui sur un corpus d’images personnelles auquel l’image du téléviseur nous renvoie ; sensitif, émotionnel, fugace. Heureusement que la vie suit son cours, paisible et lent, hors du contexte des technologies ; heureusement que la réalité se perçoit, dans ses dimensions sensorielles et sociales, hors de ces principes télévisuels. Le fait de nos technologies actuelles est qu’elles veulent, dans leur intentionnalité, surpasser notre acuité par la qualité des technologies mises en œuvre ; par ces effets d’éclairage ou de surmaquillage aussi ; comme si la technologie, et son ensemble participatif, s’invitaient dans notre salon, se détachaient du téléviseur, se projetaient littéralement hors de l’écran. Le temps de la pièce disparaît pour laisser entrer celui de l’image. Cependant, force est de constater que cette manière de s’inviter dans le salon se fait en connivence avec le spectateur, et que la distance critique, séparant le téléviseur de l’image projetée, est celle convenue entre le spectateur et la technologie. Oui, à l’instar d’un spectacle de magie où le tour et l’illusion se confondent, cependant que dans le tour de magie, la distance critique s’établit par la reconnaissance des contours de sa disparition ; mais, devant l’écran, ce serait un spectacle de magie dont le spectateur connaîtrait déjà le tour, et reconnaîtrait l’illusion. Cependant, force est de constater que la magie du téléviseur repose sur une illusion plus grande, qui consiste à faire croire en  l’illusion d’une distance critique, alors que le tour opère ailleurs. Le mot texture est un mot valise à double fond : il contient aussi le mot textualité, mais celle-ci nous échappe complètement. Ainsi, l’illusion du téléviseur est de nous faire croire que nous regardons une image, laquelle, dans son ascension technologique, nous rapprocherait de sa propre perfection. L’illusion du téléviseur est de nous faire croire que nous sommes spectateurs, alors qu’en réalité nous ne regardons rien. L’illusion du téléviseur est de nous faire croire que nous voyons une image alors qu’en réalité nous sommes dans l’image.    

25.03.2016

Aujourd’hui, je suis sorti. J’ai la permission. Il fait beau temps. C’est calme. Je n’ai rien d’autre à faire que de sortir. Ça permet de dégourdir les jambes, de découvrir mes corps. Evidemment, il ne faut pas se perdre. Donc je vais d’un point vers l’autre. Je vais ralentir d’ailleurs. C’est bien d’avoir un but. Les regards ne sont pas forcément accessibles, mais je ne daigne jamais m’y essayer ! C’est comme le pigeon ; dès qu’on approche, il s’envole. Pourquoi nous oblige-t-on à supporter tout ce bruit ? Ne me dites pas que je fais du bruit. Je n’ai rien demandé. Peut-être faudrait-il bâillonner les mannequins, et faire meugler la lumière. Les personnes que je rencontre me parlent de leur corps. Savent-elles qu’elles me désignent leurs doigts ? Tantôt le second, tantôt le troisième. Avec trois doigts, tout est dit. Le cinquième se gratte l’ongle. Pour la troisième fois, je refais le chemin. Le soleil vient à ma rencontre. Comme elle est belle la lumière. Veux-t-on la goûter qu’il faille s’arrêter. Je m’assois. Je m’assois sur un banc. Je m’assois sur un banc devant la chaussée. On peut vite s’enraciner ; quelle force ! Et si ? Et donc. Naturellement si le phénomène inverse se produisait, si le silence gagnait le monde, si tout s’arrêtait, alors mes doigts seraient comme les oiseaux et ma main s’ouvrirait ; mais ça, c’est une autre histoire.     

04.03.2016

Il n’y a plus de place. Un point. Presque en transparence. Les deux termes se confondent quand on est dedans. L’espèce flotte. Plus exactement, elle dérive, dans le volume d’eau. Les ailes sont sans vie. Les corps semblent pétrifiés. Les yeux sont vitreux. C’est l’impact dans la vitre qui les fait bouger. Et le petit moteur qui oxygène l’eau. Éteindrait-on la lumière, l’allumerait-on, cela ne changerait rien ; rien. Leur bouche n’émet aucun son, mais produit une forme de grimace. C’est comique quand elles se touchent, car on constate derrière l’oeil, à travers la cornée, une agitation de matière noire, comme si ce contact ajoutait à l’horreur. Pourtant, elle n’a pas changé la lumière, et le peu de place qu’elle a au sein de l’espèce la magnifie plus encore.   

02.03.2016

Que veux-tu faire demain ? Certes, la petite facture. Mais encore ? Tu pourrais raccommoder les fils de ton cerf-volant. Mais il ne te porte plus guère aujourd’hui. (D’ailleurs, il serait temps de sortir la poubelle.) Mais au fait, demain c’est quand ? Il faudrait que je renverse le tiroir et tous les vieux objets qu’il contient : masques de soirée, cubes et cylindres en bois, de toutes les couleurs, un gant. Où ai-je mis demain ? Oui, demain je chercherai demain (il doit bien être quelque part !) et je le jetterai avec le reste.  

25.02.2016

Lorsque le journalisme oublie de tremper sa plume dans le feu même du soleil, ou qu’il oublie sa nature profonde d’être les rais de l’astre bondissant qui éclairent le monde et sa naissante vitalité, alors il ne produit rien qu’un tas d’immondices que le reflux de la marée et la montée du jour terminent d’assécher sur les sables. Des cadavres, des cadavres, des prospectus, et tout un fatras de fils qui vient d’on ne sait où. L’ensemble est d’une telle indécence que le regard s’en trouve amoindri — dans la contemplation du jour, et qu’un voile de tristesse tombe. À y voir de près, tous ces déchets, tous ces cadavres, tous ces fils forment d’étranges personnages, d’étonnantes figures, de drôles de paysages, qui se muent parfois en signes abstraits. Lorsque la nuit redevient maîtresse des lieux, des feux follets au-dessus de ces tas abandonnés paraissent, faits d’une lumière froide, presque incandescente. L’irisation provoquée par ce tableau d’ensemble conditionne le volume nocturne. L’esprit s’agite alors, produisant des constellations fébriles ; la vision du rayonnement de la mer fait goutter le corps à grosses perles ; et la sensation de froid délivrée par ce paysage maladif se conjugue à celui de la nuit, raidissant le corps, syncopant le rythme de la respiration, faisant trembler tous les muscles. Au matin, le corps se précipite sur la langue de sable, cherchant, au milieu des cordes et des déchets, quelques indices — mais lesquels ? La main frotte le sable, encore mouillé, effaçant par son mouvement sa propre trace. Bientôt pris dans les rets de ces éléments disparates, s’enfonçant, s’enfouissant, s’agitant pour s’en détacher, se pressant, se dressant, voilà la corps frappé d’une horrible douleur. Le corps s’asphyxie, et plus il pousse plus il tire, plus les liens se resserrent. Les plus chanceux continuent malgré tout de déambuler, passant sur la plage et paissant, formant des sortes de monstres archaïques au gré des ordures qui les couvrent, et qu’ils traînent, au milieu des déchets du jour, et qui dans la nuit phosphorent de concert, dans un étrange et lent ballet.    

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