Littérature, écriture

Auteur/autrice : rd (Page 45 of 53)

19.04.2018

Quand il fallut installer la dictature, on supprima les bancs. Ensuite, on supprima les silences. Il fallait que chacun se rende d’un point à l’autre. Sans discontinuer. L’esprit devait toujours être occupé, à se remplir, ou à transporter quelque chose, tels que des mets. Sans néanmoins que cet objet pèse car l’objet est le regard lui-même. Le regard vide ne pouvait pas être toléré à moins qu’il s’agisse d’un regard rempli de vide où le vide occupe la place du regard. Ceux-là on les tolère, ils ne sont pas visibles. On ne les voit pas. Comme les arbres. Ce sont des arbres qui marchent, dirait-on. Je suis entré dans un jardin, je me suis assis.

07.04.2018

Le réel est subversif, dis-tu. Comme les fleurs. Tu aurais aimé tout contenir, dis-tu. Comme la branche. Tant pis pour ce qui déborde, soupires-tu. Tu t’émerveilles des morceaux de feuilles que ta main contient, parmi des tickets de métro, et des fourmis, trouvés au fond des poches. C’est déjà beaucoup, dis-tu ; et peu, en levant les yeux. Tes yeux se ferment. L’issue est dans les rêves, dis-tu. On suppose un monde. Le jour comprendra.

03.04.2018

Où aller ! Quand je sors du bureau, quand je me trouve sur le seuil, je désire me rendre pour la première fois. Je désire me rendre pour la première fois, dans un lieu que j’exploiterais sensiblement. La direction première, l’impulsion de départ, est importante : Où aller ? À droite ? à gauche ? « Je sors. » Exploiter signifie explorer, synchroniser. Le débit est parfois lent, tantôt rapide. Mais à présent, je sors. « Je suis dehors. » Je suis le flux. Quelle rue emprunter ? Quel estuaire emporter ? Je me laisse aller, heureux de découvrir monde pour la première fois. Naturellement quand je reviens, j’ai pris le temps de me sécher.    

30.03.2018

Sans projet, sans cerf-volant, l’homme meurt. Il faut voir sa stature, sa fière ossature. Deux bouts de bois ne suffisent pas. Il faut la toile, et les attaches. Bien mettre la virgule, entre le bous de bois et les attaches, entre la toile et le bout de bois. Et puis il y a aussi ces traînées qu’on voit flotter dans le ciel. Peu importe ce qu’elles sont. Elles sont. On les voit. Il faut aussi la ficelle, pour le plaisir de dérouler. Il faut un regard quand même, pour admirer. Il en faut des choses pour faire un homme! Et si tout fut dit et que rien ne reste, c’est que ce tout fut emporté, qu’il faut recommencer, que le souvenir n’est pas ce tout lui-même. Et l’homme se retrouve seul, avec ses bouts de bois, avec sa toile. Cet homme cherche les attaches (et la forme) : entre parenthèses, c’est qu’il en a un vague souvenir. On les voit parfois souffler, seulement souffler.

26.03.2018

C’est un non lieu. C’est un grand lit. C’est un lit d’éveil qui se joue en pleine rue. Bien sûr, l’existence feutrée des murs empêchait la survenue du lieu ; trop loin, beaucoup trop contraint. Mais à présent que je m’y tiens, j’ai tout loisir d’y sombrer. C’est un lieu exotique, fait de sons d’oiseaux inconnus. Et les bruits autrefois sus, comme ces bruits de moteurs, de motos, de mato, se noient dans la végétation luxuriante. Cependant, plus rien de ce qui faisait mon propre ancrage n’existe vraiment. On dirait le même homme, trente ans après. Et si l’architecture des lieux n’a pas vraiment changé, seulement augmentée d’étrangeté, tout ce qui faisait le bâti du sujet s’est effondré. Il n’en reste rien. Rien de ce qui fait sens au présent. Mes proches ont disparu. J’ai l’impression de me réveiller d’un mauvais rêve. Que ce présent existe réellement. Que tout ce qui constituait la chair de ma vie a disparu. Me verrais-je passer dans la rue, me donnerait-on des nouvelles de moi au passé, me rassureraient beaucoup plus que l’acceptation de la situation présente. Je suis seul. Est-ce la disparition de ma mère qui m’affecte à ce point ? Est-ce la naissance d’une liberté? Que ferais-je de cet espace et de ce temps neufs ? On en rigolerait presque, non de ce présent, puisque je me dois d’accepter l’inacceptable, mais de ce passé en lequel je fondais quelque espoir d’avenir. Si un ami venait à se poser à côté de moi, le reconnaitrais-je pour la première fois ? dans cet environnement neuf que de toute façon je n’ai jamais su nommer avant dans sa chair, dans ses formes, dans ses mouvements les plus primitifs. Sont-ce les oiseaux qui autour de moi font varier, à travers leurs trilles, le champ de ma pensée ?  Trois moineaux passent et repassent. Je pensais qu’ils avaient disparu. 

26.03.2018

Je rêve d’écrire une phrase. Souvent les lettres tombent. Le colorant s’est dilué. Sinon l’idée se perd. Lorsque la phrase est trop longue, lorsqu’elle défie les lois de ma gravité, tout s’effondre. Il reste le début, comme les ronces coupées qui font les bords du chemin. J’ai aussi tenté d’autres formes, mais la phrase est limitée pour imiter le vivant. Une autre fois j’ai fait un feu d’artifices ; une autre fois, un foyer. Je reçus le silence. Il fut un temps où je fus gérant d’une affaire dans une foire. Nous créâmes des miroirs, des miroirs déformants, qui au delà du divertissement ou de l’attraction, faisaient réfléchir sinon traverser. Oh rien de magique, ni de mystique. Il s’agit d’illusions comme ces lettres que l’équarrisseur désosse du langage, de leur chair, pour les montrer crues, au-delà du soutenable. Evidemment, personne ne s’amuse à se faire peur, ça suffit comme ça avec toutes les horreurs du monde. J’aurais rêvé d’écrire une phrase ; finalement, il reste quelque chose d’une pensée, d’un vieux peu ou d’un voeu pieu. Des graines ont été plantées. Le monde est habitué à ces dimensions qui échappent à l’homme. Quelqu’un m’a dit que le poème s’écrivait de lui même. Et que la vie est si capricieuse qu’il fallait beaucoup d’amour, ou d’espérance, pour le voir germer.

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