C’est un non lieu. C’est un grand lit. C’est un lit d’éveil qui se joue en pleine rue. Bien sûr, l’existence feutrée des murs empêchait la survenue du lieu ; trop loin, beaucoup trop contraint. Mais à présent que je m’y tiens, j’ai tout loisir d’y sombrer. C’est un lieu exotique, fait de sons d’oiseaux inconnus. Et les bruits autrefois sus, comme ces bruits de moteurs, de motos, de mato, se noient dans la végétation luxuriante. Cependant, plus rien de ce qui faisait mon propre ancrage n’existe vraiment. On dirait le même homme, trente ans après. Et si l’architecture des lieux n’a pas vraiment changé, seulement augmentée d’étrangeté, tout ce qui faisait le bâti du sujet s’est effondré. Il n’en reste rien. Rien de ce qui fait sens au présent. Mes proches ont disparu. J’ai l’impression de me réveiller d’un mauvais rêve. Que ce présent existe réellement. Que tout ce qui constituait la chair de ma vie a disparu. Me verrais-je passer dans la rue, me donnerait-on des nouvelles de moi au passé, me rassureraient beaucoup plus que l’acceptation de la situation présente. Je suis seul. Est-ce la disparition de ma mère qui m’affecte à ce point ? Est-ce la naissance d’une liberté? Que ferais-je de cet espace et de ce temps neufs ? On en rigolerait presque, non de ce présent, puisque je me dois d’accepter l’inacceptable, mais de ce passé en lequel je fondais quelque espoir d’avenir. Si un ami venait à se poser à côté de moi, le reconnaitrais-je pour la première fois ? dans cet environnement neuf que de toute façon je n’ai jamais su nommer avant dans sa chair, dans ses formes, dans ses mouvements les plus primitifs. Sont-ce les oiseaux qui autour de moi font varier, à travers leurs trilles, le champ de ma pensée ?  Trois moineaux passent et repassent. Je pensais qu’ils avaient disparu.