Il faut beaucoup d’efforts pour tout faire tenir dans une boîte. Et quand on la secoue, qu’on sente bien les coins ; que la main au contact de cette boîte, s’en souvienne. Une boîte. La peur nous envahit parfois de ne plus être à la hauteur ; alors qu’en réalité, les points de confort nous ont quitté depuis longtemps ; alors qu’en réalité ils n’ont jamais été. Tout tiendrait dans la main. Nous n’emportons rien. Ou peut-être emportons-nous le corps dépareillé de lui-même, le verbe sans chair, sans lettre ; le freinage du bus serait inutile : chaque poids devenant inerte, chaque souvenir, présent, passé, lointain, renvoyé à sa localité sans âge. Bientôt la police ne servira plus non plus. Il n’y aura plus rien à contrôler, plus rien à orienter ; l’homme, bouche ouverte, dira ce qu’il veut, sans que sa parole soit audible. Pourquoi s’en faire ? Les “mais” nous piègeraient dans la bouche du miroir. On déroule des panneaux publicitaires, blanc, pour parodier la parodie. Il faut rester en alerte.
Auteur/autrice : rd (Page 33 of 53)
Je suis dans le métro
Dans le rame, les yeux sont désoeuvrés, inquiets.
“Où vais-je après ?”
La porte des mondes s’ouvre,
La porte des mondes s’ouvre et se ferme.
“Où vais-je après ?”
La porte des mondes se ferme, les tracas ont repris le dessus
Elle s’ouvre quand tout s’arrête de penser.
“Où vais-je après ?”
“Où vais-je après ?” est une destination,
Un chemin en soi — un boulevard.
C’est un chemin ouvert dans la nuit,
Mon sourire fait des étincelles.
Quand les illusions sont tombées, que reste-t-il ?
La fin d’une tasse de café ; un sourire
(accueillir ce qui vient)
Accueillir ce qui vient
Lustrer la seconde comme une goutte
Avoir la vue courte, saisir le loin
Sourire, et ne pas oublier le centimètre qui fait la différence.
Ai-je le droit d’être moi-même ? te demandes-tu
assis-toi au milieu de la pièce
laisse-la te chuchoter
en fermant la porte-hier
Le corps est lourd de tous ces souvenirs qui encombrent
le corps,
comme un coffre trop chargé
Comment se délester
quand ces souvenirs appellent leur direction
quand d’autres s’offrent à soi comme une poire mûre.
L’homme dit un poème
L’homme dit un poème silencieux
un poème que quelqu’un entend distraitement
un poème fait avec des (e)
un poème en équilibre
L’homme dit un poème en équilibre
Bientôt le regard de l’homme dessine une ligne
et ses bras imaginaires se déploient
Et bientôt, toute la vie tient dans son poème
dans son poème, en équilibre
Le métro tangue le métro freine
Le métro tangue le métro freine,
la vie le poème le poème tient en équilibre.
Parfois l’homme s’absente. Puis, il ouvre grand les yeux.
Puis il les ferme, sursaute, une boule tombe dans sa paume, bondit, manque de la faire tomber, bondit, manque de le faire tomber, ouvre un grand sac, l’enfourne au vol et sort.
Je suis assis dans un train
Un voyageur regarde par la fenêtre
tandis que, objectivement,
nous sommes nulle part ;
mais peut être que le voyageur
regarde par la fenêtre,
qu’il écrit un poème sur le nulle part
Le train ponctue notre voyage de destinations.
Je suis assis dans le cimetière
La porte des mondes s’ouvre. Je deviens tout petit.
Je deviens plus petit que les moucherons qui volettent autour de moi
Je deviens plus petit que la feuille de peuplier, qui tombe par terre,
que le mégot de cigarette porté dans la rigole.
Savoir à quel moment ouvrir les yeux comme on sort les mots d’un rêve
savoir à quel moment fixer la parole,
tandis que la porte des mondes est béante et que le monde ne dit rien.
Laisser les milliers de paires d’yeux aller,
décharger le coléoptère de son poids, qui traverse la route ;
Se remplir les poumons, comme d’autres s’emplissent les poches,
gaspiller l’or des tilleuls, et le vent frais ;
Il resterait un regard, un regard plein,
ayant plus d’insistance que n’importe quelle autre durée,
un regard qu’aucune chute ne pourrait soumettre.
Je suis libre,
mais que veut dire cette phrase ?
Je connais la gangue qui étouffe chaque voyelle ;
je connais la douleur qui enterre la plainte ;
je connais le croc qui tiraille les entrailles ;
je connais le deuil et l’entrave ;
je connais le geste qui consiste à mettre une paille dans le nez, pour respirer ;
Je connais aussi la beauté, dont le silence est plus grand que tout ;
Je suis libre de m’asseoir et de lever les yeux.
Je crois que le haïku du moins dans ma pratique — Le signal et sa traduction — était une clé d’entée et d’accès à l’autre monde. Mais par autre monde, il faut envisager un monde, fait de multiples strates, qui se déploie tel un éventail. Je dis éventail car je n’ai pas deux ailes, et mon premier recueil ne s’appelait-il pas Poèmes en éventail ? À présent, je vis ailleurs comme si la somme de ces clés d’entrée avait tissé l’autre monde, malgré moi, par la multiplicité des points ouverts, ici. Naturellement, comme tout à chacun je suis pris par les affres d’une réalité non quotidienne érigée en quotidien, par le poids des mots, des regards, des habitudes. Et aussi par mon penchant naturel à l’obscur, à la matière brute animale. Mais il faut voir désormais, dans cette réalité quotidienne, plus des boules à neige, comme on les ramène de nos voyages, des boules à neige suffisamment attractives et lumineuses pour attirer le papillon que je suis par mégarde. Mais une fois la nuit venue, ou la force de soustraction suffisamment grande pour me guérir de la pesanteur, l’autre monde reparaît, reprend ses droits. Et le poème, ou les poèmes seraient alors le témoignage sincère de ce drôle d’endroit qui n’en finit pas de surprendre.
Chaque poème est une conquête
Un morceau de terre,
de vase ou d’argile, ramené ici
Sans savoir si ce qui fleurit sur ce morceau de terre
Est le poème lui-même.
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