Le tulipier de Virginie
Vois mes richesses, fait-il
Dans le vent d’octobre
Littérature, écriture
Le tulipier de Virginie
Vois mes richesses, fait-il
Dans le vent d’octobre
“Pourquoi suis-je là ?” J’ai retrouvé le fil et par conséquent la question reste entre mes doigts. Je ne sais qu’en faire. La question de ne se pose même pas. Les volumes sont pleins. Même les volumes vides. Je lance un regard à ma voisine avec la question dedans pour être sûr de l’avoir quittée. Non, il n’y aucune place pour aucun doute. Mais bientôt je me rends compte que nous allons nulle part ; que le métro a beau se déplacer, c’est le présent qui se déplace et le présent est ma seule destination. Je me lève, je m’assois, je me lève, je m’assois. Bientôt je vais m’inventer un but, celui qui m’a fait monter dans la rame, et j’oublierai possiblement ma première destination.
La virgule saute les points, applaudissent… Elle s’est mise à battre, la pluie cogne. Je sors de la flaque une serviette, l’ouvre et la pose sur ses cuisses: elle transpire, respire, m’inspire. « Do you have some paper ?… she breathes. – Yes, I do. » Ces yeux, ô ses yeux si tu savais ! fixent l’horizon, moulent sa ligne. Et ses doigts, ils effritent une matière: elle est brune, érotique. Je lui tends mon briquet. Une phrase en a jailli qui la fait rire. Je voudrais tant lui plaire; mais l’homme, est-ce exotique?
Des cocos ne tombent pas du ciel. Je les sabre et verse en ses lèvres un goût de poésie. «T.O.T. ma belle, ta langue ne m’est pas étrangère. » C’est évident! je survivrai en ses bras. Elle esquisse un sourire. Il pleut, il pleut. Les miens cherchent les siens. Mais déjà, elle n’est plus.
Poèmes de jeunesse, 2006
Nuit stupéfiante, je me remémore.
Dans le cimetière cette nuit, j’écoutais mes pas quand un bruit non loin me fit sursauter.
Le vent ? Je voulais m’en convaincre, mais les feuilles craquaient, une ombre se mouvait.
« Qui va là ? » lançai-je.
Pas de réponse —
Avec courage, je sommai une seconde fois l’inconnu : « Halte là, ou je me tue ! »
L’ombre s’immobilisa, une voix s’anima.
« Je suis le gardien. Vous n’avez rien à faire là, c’est interdit. »
Mon soulagement équivalait bien à une amende.
Je courrais et sautai dans ces bras, il n’en avait pas.
Poèmes de jeunesse, 2006
Prenez un cheveu
et
sans éternuer
jetez-le dans l’azur
Aussitôt rattrapez le
cheveu
x encore et encore
jusqu’à ce que
femme apparaisse
Alors seulement alors
soyez convaincu du reste.
Poèmes de jeunesse, 2006
Il n’est pas si longtemps, j’ai rencontré un drôle de chasseur. Il était à l’affût au bord d’une futaie, l’air affûté, le corps ébahi. Les yeux ronds et silencieux. Il me fit signe de me taire, d’un geste de la main « de me terre ». Je ne compris pas tout de suite, mais l’homme ne fit que croître ma curiosité. Je m’approchais. Je trouvai place à côté de lui, dans sa cachette, avec suffisamment d’ouverture pour tout saisir, du moins le croyais-je.
– Chut, fit-il, en faisant un mouvement avec la main, du haut vers le bas, comme s’il aidait une entité abstraite à descendre du ciel. Était-ce un oiseau ? Quelques compagnons ? Un ange ? On n’y voyait rien. C’est un grand ciel blanc. Et toutes les hypothèses tombaient les unes derrière les autres puisqu’il n’y avait rien dans le ciel qu’un grand ciel blanc. L’homme fit passer ses mains à la verticale, de la gauche vers la droite, sur une ligne imaginaire, comme s’il cadrait quelque chose. L’homme se concentrait sur cette chose avec une telle intensité que l’intensité elle-même précipiterait bientôt. Je plissai fermement les yeux.
« Mais enfin, lui dis-je, que faites-vous ?
– Je chasse les nuages, laissa-t-il s’échapper.
– Mais en quoi cela consiste-t-il, demandai-je.
– Il faut être patient, faire le grand saut.
– Oh ! Et puis ?
– Parfois une forme se fait, plus matérielle qu’aucune autre. Elle peut disparaître.
Je laissais passer un silence.
– Et après ?
– La suite m’échappe, dit-il. Je les regarde passer, sans les regarder passer, ajouta-t-il, se tournant vers moi, levant les mains.
Je regardais avec insistance. Mais bientôt ses bras s’éloignaient, s’allongeaient, et ses joues se mirent à gonfler. Je vis, en clignant des yeux, une sorte de personnage, entre des morceaux – flottant, souriant. On eut même dit que ce drôle de personnage me regardait, avec une attention particulière. Je vis qu’il vit, il lança un clin d’œil, comme je me dressai, avant de disparaître.
Oh, dis-je dis-je, deux fois. Quel drôle de personnage, pensais-je en me relevant complètement. Je m’étais assoupi au bord d’une futaie, et à ladite place où j’étais persuadé d’avoir vu ce chasseur de nuages, il n’était rien, nulle présence, sinon des mûres, bien mûres.
Ça y est, je me retrouve à nouveau nulle part. Il suffit de la savoir. L’autre porte s’ouvre, mais ce n’est pas automatique. Je n’ai jamais croisé au même instant un regard, qui soutiendrait une même dimension de lieu, d’espace, une même dimension de temps. Nous ririons. Les intentions, les postures me font prendre conscience que le nulle part s’éloigne, tandis que le train n’a pas démarré, que nous sommes toujours à quai. Le train démarre. Il y a cette demoiselle assise sur la banquette à côté de la mienne, qui me fait des sourires du coin de l’oeil. Mais la pulsation du désir est compatible avec le nulle part. Je suis nulle part. Le nulle part, c’est le monde augmenté de lui-même. C’est le monde pour la première fois. On pourrait jouer à se faire peur. Être au monde pour la première fois. Les soucis ont repris le dessus, et une forme d’inertie plus épaisse que le monde ; mais la lumière du monde entre pour la première fois dans le wagon, par intermittence. C’est la raison pour laquelle le soleil, le visage, la lune ont la forme du sourire.
J’ai peur, dit-il, assis dans le train. J’ai peur. Le train n’a pas encore démarré. Les voyageurs s’installent. Le monde a tout connu. Le pire comme le meilleur. Il oserait à peine respirer si on lui demandait d’ajouter un mot, de retrancher une parole. Les lumières s’allument. Le flux des usagers devient plus abondant dans le couloir. La soufflerie tourne fort. Les vitres sont sales. Un voyageur posté sur le quai, l’air inquiet, regarde dans le wagon. J’ai peur. Les gens ne cessent de déplacer leur valise, de tousser. L’homme resté sur le quai a mis ses lunettes. Nous sommes sur la voie S. Une voix humaine traverse la rame. Nous sommes dans le Remy Express. En direction de Bourges. La soufflerie continue de maintenir sa vive allure. J’ai peur. Un second voyageur rejoint le voyageur resté sur le quai. Et si tout devait s’arrêter ? Je me rends compte que ça n’a aucune importance. Le voyageur resté sur le quai semble à présent satisfait et monte. Cependant le voyageur est resté sur le quai, au même endroit, à moins qu’il s’agisse de son double. Ça n’a aucune importance si ça devait s’arrêter. Le train n’a toujours pas démarré. Le train démarre. Le voyageur resté sur le quai lance une main en direction du train. Les lumières défilent à présent. Le reflet se réverbère dans le reflet lui-même. Le train a pris possession des rails, laissant apparaître sa ligne parfaite : la musique de sa mécanique lisse partiellement le bruit de soufflerie, ou celui-ci trouve-t-il à présent sa place dans la marche du monde. Le train est élancé, pleine puissance, traversant les gares qui sont comme des parenthèses. Parfois les portes s’ouvrent, et les tunnels, les parois font varier la pression comme des doigts sur un instrument de musique, à vent. À l’intérieur, tout est calme. Les luminaires sont une ode au calme. Le contrôleur vient de passer. Électrifier le monde. Relier les destinations. Une lanière de sac pend dans le couloir. Il est rouge. On n’y peut rien. J’ai peur. Le sommeil s’invite à table. Les trains portent un matricule. Je l’ai vu une fois, en croisant l’un d’eux. Un enfant pleure. La littérature est un oiseau sauvage. Il devient louche quand on est assis près d’elle. Toute ma vie, j’ai préféré décoller l’affiche plutôt que de les habiter. J’aurais dû ouvrir les yeux là-dessus , bien avant de me retrouver dans le train en train de fabriquer ces lignes. Décoller l’affiche, augmenter la surface. Je n’avais peut-être pas le bon réseau. Je n’étais peut-être pas suffisamment électrifié. Ma voisine fait des contorsions inouïes pour trouver le sommeil. Elle forme avec son corps toutes les lettres de l’alphabet, en vain. Comment pourrais-je un seul instant me retrouver en résidence, à chercher chaque matin l’inspiration, a sortir le chien, à sortir le silence pour le faire aboyer, a pissé de la prose pour tenter la piste. Je me suis contenté d’une feuille. Elle est parfaitement habitable. Elle suffit. Écrire n’est peut-être qu’un prétexte. Celui d’habiter la page. Si quelqu’un me voyait, là en train de voyager, il verrait une feuille sur la banquette d’un train, aimablement vêtue d’un chapeau et d’une valise. Je serai bien embêté pour décliner toute identité. Alors, ne me demandez pas où je vais. Cette question a-t-elle-même un sens. La vie s’évertue à nous faire dire la même vie toute notre phrase. Je me bouche ma bouche avec mes deux mains. Mais cela ne me rend pas plus malheureux ou plus heureux. La phrase s’entretient, littéralement. Elle doit être indéboulonnable. Les jours la soumettent à rude épreuve. J’ai peur. Les jours la soumettent à dure épreuve. Elle finit par montrer du jeu. Au bout d’un temps, la phrase n’a plus forcément de sens, c’est le jeu qu’on entend. C’est que l’homme va bientôt “casser sa pipe, nom d’une bois”. Je me réveille. Je ne connaîtrais pas la fin, ni la formule heureuse. Elle est restée dans le train. La ligne l’emporte.
depuis longtemps
je ne t’avais pas vue
c’est bien toi, o lune
Eh oui ! Eh oui – dire le réel. Que dirait-on d’un poème. Arbre. Arbre ? Le point interroge, mais le point d’interrogation ? Bouche. Que se fait-il quand je dis le mot “bouche” ? Banc. Banc ! Oh rareté merveilleuse qui alentit les pas du promeneur, où son regard se pose. Aimerait se poser. Se pose. Banc. Miracle ! Banc qui accueille la pluie. Où vont tes racines ? Banc, mystère inouï de la création ! Comment ferais-je pour m’asseoir sur un banc ? Me l’a-t-on une fois appris ? Oh, banc ! Je m’assois à côté de toi, et je souris.
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