Prendre du recul, m’a-t-on dit. Evidemment, l’expérience est simple pour qui la perçoit. C’est comme un bain de mer : c’est une évidence pour qui la vie. J’ai beau faire un effort de projection, qui me remémore à l’intérieur même de la diapositive, je reste dans l’image. Prendre du recul ? Au contraire, il faudrait avancer, prendre courageusement ses mains, ses bras, ses pieds, et arracher le tapis de mousse qui a tout envahi. Les arracher pli après pli, consciemment : enchevêtrement de lacs. Les bougies s’éteignent l’une après l’autre ; ou la lumière ne circule plus : qui vérifiera ? Maison de mousse. Forêt de mousse. Ville de mousse. Bureau de mousse. Tout est mousse. Prendre du recul : avancer courageusement et se dire qu’aucun recul n’est possible, puisque tout a été atteint jusqu’à la dernière partie. Et qu’épiloguer ne fait que noircir les zones d’ombres. Parfois, un accident du réel viendrait démasquer la supercherie. C’est un saut minuscule, un craquement de planche, qui nous remémore soudain que les entités autour de nous ont une âme, et que la nôtre n’est pas tiède à leur contact. Des fils blancs qui tombent du ciel. Des fils blancs, statiques, qu’on finit par ne plus voir. Quand la conscience s’indigne, qu’elle les écarte, c’est un paysage morne qui se présente, un paysage sans autre conscience que l’époque elle-même chaque matin quand elle se lève jusqu’au ciel jusqu’au soir, comme si le soleil était lui aussi noué à cette hérésie, comme si le ciel avait lui aussi perdu son épaisseur. Prendre du recul.