L’époque n’attend rien ; elle nous fixe. Cela fait si longtemps que je suis là que je ne sais plus bien si le monde ressemble à ce qu’il était. Elle écrase beaucoup de nous comme il faut libérer. On peut voir le ciel étoilé, se soumettre à sa perspective, à la profonde heure, à l’absence même de direction, au vertige, le ciel ne nous sait pas plus qu’un sol qui se met à saigner. En même temps, celui qui croit tient la bougie dans sa main, qui reste main quelle que soit la circonstance. Les grains de poussière assèchent la peau, mais l’homme tient encore au miracle jusqu’au haut de la lumière. Le ciel étoilé reste silencieux, dit l’enfant. Parmi les points, il jette une virgule. Et puis, tu pourrais apprendre à respirer avant la suivante inflexion du corps. L’époque nous a fixés aux chaises. On les espère à roulettes, qu’elles nous emmènent au dernier salon et qu’elles nous fassent en un claquement de doigts plonger là où l’air est bon. D’autres se satisferont d’une image pieuse, plutôt que jouir de l’espace vide collé aux sens qui rassure, quand d’autres rêveront le lieu dans un magazine, et s’offriront le carré blanc, en attendant la fin qui ne vient pas, qu’on repousse chaque jour. Il est ce siège – Il faut savoir apprécier, l’évaluer – dont chacun doit saisir la portée avant de porter sa vie dans ses aspérités. Il faut être solide, mais pour combien ? Le soir est déjà là que le matin s’éveille, que l’enfant a grandi, que le visage ne ressemble plus à celui que soi avait construit de soi. Il faut faire avec et prendre chacun de ces « Il faut faire avec » pour confectionner un filet de pêche ; accepter la condition, à la condition que soi ait l’avantage du premier pas, non de la direction, mais dans la certitude que le premier pas n’est pas désappropriable. Et qu’au contraire il faut apprendre à marcher dans ce premier pas comme l’enfant qui glisse dans le toboggan. Dans la direction, choisie par le fait qu’elle amorce son mouvement. Les paroles sont des herbes hautes, qui caressent votre corps, qui vous caressent le visage, qui caressent le corps. Cela suffit à rendre digne la plage. Mais alors quelle publicité ferait-on ? Elle serait aussi ridicule qu’une idée complexe. La posture nous sauvre le livre, l’écrit, et donne peut-être à la page une dureté de coque, et pourquoi pas friable, gourmande.
Faire l’effort, cela fait longtemps, tiens. Évidemment je ne me souviens de rien. Il me souvient du chemin, mais pas de l’état. Du moins j’imagine l’état. J’hésite. J’ai envie de rester là, à l’entrée ; comme une puissance au seuil. À moins que le charme se soit estompé, que l’enclos soit clos, – que je sois condamné à rester là, dans cet espace-temps : une réalité, quelconque. Évidemment tout porte à croire : l’automne, les murs, la date. Le ballon. Même le passant avec son air mélancolique, qui passe derrière la grille du parc. Tout me porte à rester là, sur ce banc, entre la corde à sauter – son mouvement hélicoïdal, et le ballon – les passes ; entre les deux béquilles. Impossible de sortir d’ici pour le moment. Mon voisin met un sens inouï pour faire exister son mouvement de ballon, ses passes à son fils, son fils lui-même. Il crie, il est bruyant, il explique ce qu’il fait. Il frappe le ballon. À présent la lumière dévoile l’or du platane. Un bruit lointain fait celui d’une trottinette qui pleure. Et, je suis censé moi-même être assis, sur ce banc, dans le square René-Le Gall, à côté d’un arbre remarquable. Bref, tout est signifiant ; rien n’y échappe. À force de ne plus l’ouvrir, il est possible que le temps ait verrouillé la porte. Je suis bien quelque part, parmi les passants, les perruches, la robe de mariée qui passe dans le ciel, la paréidolie des nuages. Je suis bien quelque part, dit l’homme. Je n’arrive plus à voir, à travers mes yeux, le néant, pas plus qu’à entrer dans l’éternité ; à faire corps avec. Cependant, ce qui se présente depuis tout à l’heure me convient tout à fait. L’espace-temps est remarquable, malgré la douleur du pied, la vue faiblarde, je n’ai rien à changer du lieu. Me proposerait-on d’être ailleurs, je ne saurais quoi ajouter. Le mouvement des perruches, leurs cris, me rapproche insensiblement de l’espace entrouvert, entre l’ici et le monde des morts. Quoi que cet ici ne soit plus tout à fait le même : l’enclos s’est ouvert, et le sujet sourit. Dans le parc, sur l’asphalte, l’enfant fait rebondir un ballon sur son genou. Ça y est, je vois. J’ai vu.
Peux-tu rester là,
sans rien faire,
À écouter le chant d’une fauvette noire
À travailler le corps-à-corps avec celui d’une cigale ;
À rester là, sur le seuil
L’homme fait tant de bruit
Que la portée restée nue
le reste.
Regarder la pluie. J’ai cette chance, aujourd’hui. Regarder la pluie. Et l’entendre. L’entendre. On la voit mieux tomber devant l’arbre. Un pin fait de ces traits penchés, de quelques degrés par rapport à la verticalité du ciel. Et les gouttes, suspendues au bord de mon balcon, à des feuilles. J’ai cette chance ; voir la pluie tomber. Avoir le loisir d’avoir ce temps, pour la contempler. Et l’entendre. Être hors du monde et l’entendre. Le volume se baisse, le ciel s’éclaircit, mais on voit toujours les traits penchés, plus fins sur le pin. Réussir soi, cette fois-ci à faire une de soi une goutte – goutte suspendue de soi – tandis que le temps coule, que les roues des voitures laissent entendre l’adhérence pressée de leurs passagers, que les sirènes vont d’un bout à l’autre de la ville, comme les habitants du ciel.
Être cette goutte : suspendue.
Au coeur de l’automne
Il est une rose ouverte
Qui parle au mien
L’habitude, c’est de finir par se sentir chez soi dans des lieux d’habitudes : pour moi, une gare (cette gare), un bureau (mon bureau), des arbres en bord de Seine (le paysage à la fenêtre). Alors pour celui qui se sent chez lui dans un lieu neuf, ou qui se sent très chez lui dans le nulle part (, mais ici, dans cette cette gare), il est une sorte de tendresse à poser ce même regard dans un lieu d’habitudes, à reconnaitre ce lieu dans toute son étrangeté, et sa familiarité, et à profiter de ce voyage, de ce petit écart, assis sur le quai, dans l’attente du train qui ne vient pas.
Faire un selfie avec mon téléphone, même médiocre, me rappelle que je suis vivant. Je n’ai pas besoin de ce portrait pour savoir que je le suis. Mais il donne une image. Il s’agit moins de l’image que de l’acte lui-même, d’abord l’image puis rétroactivement le geste qui conduit à l’image. Ce geste n’est-il pas la somme des humains qui sur Terre chaque jour prennent un selfie ? Mon geste est dérisoire. Vaut-il plus qu’un portrait devant la Tour Eiffel ? Un portrait sur un lit d’hôpital, dans la lumière crue de la chambre, le visage pâlot. Ouvrons les volets. Rusons face au néant, tantôt d’une photographie, tantôt de notre disparition : laissons la lumière entrer.
Et si l’homme écrivait. Se tenant. Penché. Au bord. La difficulté serait De. Double. Tenir le fils. Mais. Rire. Il serait facile de se tenir à distance. Mieux, d’idéaliser l’instant d’une peinture figurative Chassant ici là le vent mauvais des métaphores. Mais. Ce serait. (La chute) (Il faudrait) (Entendre la ligne). Ce serait. Ainsi resté. Entre le S et le T. Sentir. Tenir. Et si rester Était la clé. Faire grandir Ce qui. Justement Ce qui. Ben tiens nous voilà Embêtés. Faire gonfler le banc. Pour l’image par exemple. Le banc gonfle. Le Blanc gonfe. Le banc gonfle. Le blanc gonfe Onfle c’est dur Bref. Souffer gonfler Souffler gonfer. Ce n’est pas du diverstissement. C’est tout à Refaire. Nous y sommes. Se tenir. Près. Prêt. Faire fleur ? Expulser. Non, mince. Faire entrer ? Faire quoi ? (évidemment grenouille) Avec qui ? Se tenir près. Mais alors (bien fière liaison) Le mésalor. Le mésalor arc tendu. Le Mésalor Pays (ou pas) Pièce d’horloger (d’or logé) Nous y sommes. Balancier. * Tic tac tic tac Nous y sommes. Toujours le Toc toc Eux prennent leur temps : les nuages. Mais alors Mésalor : Rien On serait presque gêné d’avoir fait trace. Alors quoi ? Se taire Complètement. Ne reste plus que la forme. Compléter le silence. Se taire complètement Est-ce ? * Qui parle ? Qui veut parler à qui ? Qui parle à soi ? Qui regarde en effet. Qui est. Je tu il nous vont-il. Qui est là : depuis Toujours. Qui s’interroge. Je est un grand qui. Granki. Qui respire qui voit. Ah, quoi voit qui ! * Se tenir prêt. Comme on vient. Se tenir prêt. Quoi regarde qui. Qui est qui, naturellement. Quoi regarde qui. Quoi est qui. Il y a d’autres quoi autour de quoi, présumé-je. À dire qu’ils sont qui…
Quoi regarde qui. Qui est coi de toute façon. Se tenir prêt. Quoi me regarde. Nous sommes cois.
* Choeur écho ?
Quoi Quoi Quoi Célébration ?
Parfois le langage est comme un soleil fort montrant les ombres
Chœur écho
Dans quel page s’écrit-on nous-mêmes
Homme-sandwich pour la plupart de nous
Célébration des sphères
Quoi intangible vivant vibrant
Qui petit quand même
Qui ici présent, mais quoi d’autres : vivants présents
Quoi Quoi vous parlent
Quoi reste à qui
* Qui Qui
Se tenir prêt
Qui qui
Se tenir près
Bord du tour
Tour du bord,
Se tenir prêt.
Res T, 06.10.24
Ainsi on se souvient des paramètres du bord
Température, lumi- ; saison, date ;
Sensation (et pourquoi pas Impressions) ; et ce qui (camion de pompier, journal, pigeon) roule ou qui
Point fixe (textures matières)
Mais surtout il y a ce banc ; et le capitaine posé sur le banc
Et Il est une grande fixité : Où allons nous ?
Et la question a-t-elle (en cor) un sens ?
Ici, tous les moyens de transport : avion, train, montgolfière Seraient exposés
Hauteur – clair horizon,
Vitesse – sifflante joyeuse,
Lenteur – élévation ;
Pour revenir, il suffit de mettre aux noms aux choses délicatement une date
Vêtir le platane de son habit de platane,
Dévêtir ce banc ;
Dévêtir les passants de leur force sauvage,
Revenir atterrir dans le monde des intentions premières.
La question de la page. Des années ont passé ; c’est toujours la même question, interrogation. Par question, il faudrait peut-être entendre cette paupière — où est-elle située — qui s’ouvre sur la surface blanche — comme horizon du coeur ; comme lieu d’une intériorité qui se courbe à cet instant de m’y convoquer. Un messager sans message. J’ai souvent espéré ramener ici, et mon dieu c’est ici, le trésor sous mes yeux, mais peut-être est-il trop lourd, peut-être écrire c’est apprendre à danser, avec plus de poids qu’aucun âne ne saurait tirer. Mais quand j’ouvre les yeux, je comprends que cet ici se présente, et qu’écrire et vivre sont deux inséparables. Le monde sourit dans sa farce totale.
J’ai tenu la page.
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