Raphaël Dormoy

Littérature, écriture

06.03.2025

Le langage n’est pas le langage
Le langage est libre du langage
La langage passe par le langage
Le langage est en deçà ;
Un violon me l’apprit
Un Cézanne me le montra
Un coucher de soleil l’enseigna ;
Le langage est libre du langage
Le langage joue avec le langage,
Comme l’oiseau avec le soleil
Comme l’enfant joue du ballon d’air
Comme l’eau et le ruisseau
Comme l’eau du ruisseau et le son de ruisseau
Comme l’eau du ruisseau et son son
(Ha ha ha )
Le langage est lent, plus lent que le débit
– La girouette l’escarcelle la girouette l’escarcelle
Le langage est un triangle isocèle : prononcez le comme vous voudrez
Et si le doute apparait grattez l’angle
Un ange apparait,
Entraînez-vous chaque jour
Ne vous perdez pas !
Ou, dans les étoiles et vrillez
Et vrillez…
Mais revenez au point.

Nous irons, haut !

 

21.02.2025

Aujourd’hui, j’ai travaillé sur la délibération «Mares». Il s’agit d’une délibération informative, en conseil municipal. Cette délibération marque le partenariat avec la Société de protection de la nature après que la ville a fait acte de candidature. Il faut savoir deux trois choses sur les mares quand on démarre. La mare se définit mal, avec circonvolution, mais on lui attribue quelque qualité comme celle de laisser la lumière passer. Dans les lacs, il arrive cette zone où la lumière cesse et la température en deçà est constante. La mare ne se prend pas trop au sérieux. Elle est temporaire ou permanente. Elle est la bonne auberge au milieu de nulle mare. La chose à savoir en sus est qu’une mare apporte son explosion de vie, qu’elle se régule assez vite pour celles et ceux qui refuseraient de creuser le sujet au motif que le moustique y fait son trou. On y entend toutes sortes d’animaux, comme le chant du pélodyte ponctué, qui fait comme deux boules de pétanque au coucher du soleil. Nous allons donc creuser des mares et nous prévoyons une sortie nocturne prochainement.

 

26.01.2025

Le néant qui se manifeste à mesure. Paradoxalement, la disparition amène la beauté toute réelle. Pourrait-on dire qu’un mort est beau ? Un mort est froid. Le baiser que vous portez au front de l’être aimé saisit vos lèvres, vous glace tout entier si vous restez plus longtemps. Nous pourrions dire qu’un mort est beau en ce sens qu’il n’est pas mort, pour celui ou celle que nous aimons, que sa lumière subsiste, comme nous sommes aussi petite lumière parmi les vivants que nous reconnaissons. Non, je ne parle pas de cette disparition radicale, qui saisit au bord du : précipice/précipité, qui marque une rupture. Je parle je pars de cette agrégation de temps qui passe, qui dessaisit l’être de sa chair, de sa vitalité ; de celui qui fait l’expérience de sa, de sa perte ; eh bien, celles et ceux qui lui ressemblent, mais le précèdent, eh bien ceux-là pourtant lui paraissent, malgré la disparition de l’image, malgré l’effondrement de matière, et la perte d’usage, et bien ceux-là portent pour qui sait le reconnaître, ceux-là portent les gestes d’une innocence première, d’un visage  sorti du temps, non pas figé par celui-ci dans un souvenir lointain, mais d’un visage ayant gagné la porte du temps, qui vous regarde là où vous êtes, à vous battre contre la vague, contre l’embrun, contre la perte. Alors oui, les flots seront souventefois plus durs, mais là où nous allons, vers le point ou la constellation : quelle importance ?

 

10.01.2025

Tout ce qui va de soi ; ce qui rassure. Comme le langage.
Comme le lent gage de la personne qui, soufflant un peu, avant de s’asseoir, décroche son ; d’une manière naturelle, vieille de mille siècles ; décroche son : sac de l’épaule ; sa lanière ; l’ôte du pouce ; avant de, d’une manière naturelle qui dit : je peux ôter mon sac et m’asseoir ; d’un geste su ; je peux ôter mon sac de l’épaule et m’asseoir ; dans le siège, dans le siècle ; m’y balancer, souffler un peu, fermer les yeux.
Tout ce qui va de soi, et qui rassure. Dans le TER, les voyageurs sont assis, à lire, tousser, à pianoter sur le portable. Cela ne va pas de soi de se retrouver là ; cela peut être drôle. Mais la terreur ? Le vertige qui sépare la représentation, de l’endroit.
D’où la nécessité de s’occuper, de manger des chips, de frapper son gamin avec ses paroles, de scroller sans cesse. C’est dur.
Alors cette lanière que le voyageur peut : ôter du pouce, dans un geste : convenu, cette lanière que le voyageur peut quitter ; cette lanière qui rassure.
Tout ce qui va de soi et qui rassure. Jusqu’à la corporalité elle-même, à double tranchant : monstrueuse et nécessaire.
Comme la question : irréductible.

 

02.02.2025

Le réel aussi est un instrument
Les mots, tout sonne faux
Quelle couleur choisissons-nous ?
Quel moment fait-on vibrer ?
A-t-on exploré le langage
Sait-on ses propriétés, Toutes
Ses combinaisons nouvelles.
Sait-on voir ?

 

03.02.2025

Je suis enfermé dans le cauchemar des jours. Je suis prisonnier du corps. À moins que le corps soit prisonnier de moi ; vasque ouverte sur le monde. Je n’ai pas vraiment choisi d’être ici ni aujourd’hui. Et toute l’information traitée, autour de moi, fait peu pour mon confort. Être sur une île déserte ajouterait à mon désarroi. Je laisse passer à travers mes yeux, deux vifs sourires sauvages et timides. D’un noir précieux. Il faudrait imaginer le corps comme une caverne, comme un abri, habité par deux félins, toujours libres de la quitter, ici et maintenant pour la grande aventure.

 

02.02.2025

La mésange est sortie,
elle s’est habillée de bleu.
Sais-tu la reconnaitre,
son chant est silencieux.
Elle fait une lettre longue
discrète et longue ;
Fin comme un cheveu,
un cheveu d’or
dans le ciel bleu.

 

12.01.2025

J’aime voyager dans le sens qui n’est pas le sens de la marche. C’est-à-dire, entrevoir qu’une couleur spéciale serait possible, celle d’un présent ressuscité. Le dire avec mes mots me ferait replonger invariablement dans le passé, je veux dire dans l’épaisseur d’un quotidien et d’un temps parfaitement rangés pour accomplir des tâches parfaitement stables, comme ces tables en bois, d’artisan ou de couturier, disposant ici et là de petites rangées de tiroirs, avec leurs boutons en métal, qu’on tire, qu’on ferme. L’instant d’ailleurs que j’évoque tiendrait dans l’un d’eux, ou peut-être dans le tiroir central, large, profond, celui dans lequel serait rangée la matière précieuse vouée à l’oubli. Mais la chose est déjà vite oubliée : Je voyage dans le sens de la marche malgré le fait que je lui tourne le dos. Mais je me souviens qu’il existe un point quelque part, à tâtons dans le tiroir, dans l’un des tiroirs, qui aurait la texture de celui posé ici.

 

03.01.2025

Je suis dans le train. Il vient de s’arrêter en gare de Valence. Je retourne à Paris. Virgile est à côté de moi. Il lit un livre et mange un biscuit. Je lève les yeux. Je sais être nulle part. Mais la pression est trop forte le train s’est rempli. Il est beaucoup de bruits. Une fillette colorie un cahier. Bientôt, elle apprendra l’écriture. Et un jour, si elle est courageuse, elle désapprendra tout. La dérive est inouïe entre l’instant où nous sommes et la trajectoire. L’écart est épuisant. J’aimerais rester ici. Mais tout commencerait par une parole. Je ne sais pas ce que montre l’intérieur de mes yeux. Ni l’expression de mon visage. Peut-être ressemblé-je à un rocher tant j’ai fini par taire. Peut-être faudrait-il considérer l’espace lui-même, le train, ne pas abandonner sa structure, et le remplir d’une autre couleur. Comme la fillette qui colorie son cahier bleu. D’autres voient d’autres circonstances : ceux qui voient par delà les astres ; ceux qui voient dans les liens. Mais est-ce insoutenable de voir ici ? Pourquoi oublie-t-on ici ? Et pourquoi le train se prête-t-il à ce genre de manifestation ? J’ai envie de partager mon questionnement avec l’inconnu du train, que nous partagions le même, un instant, l’instant dans un instant, mais aucun inconnu du train ne me regarde dans les yeux. Il sort des bulles de ma bouche.

 

07.12.2024

Je suis chez moi, en moi. Une envie immense me prend de pleurer. Le ciel est tout à fait bleu, et devant moi apparaît le toit du Panthéon. En levant les yeux je vois la Tour Eiffel. Un homme s’est jeté dans le vide il y a quelques mois. Ecrire pourrait être la façon la plus simple d’échapper au réel. C’est peut-être la raison pour laquelle je n’écris pas assez – avec difficulté. Ce pourrait être une manière de produire ce roman, cette épaisseur qui ne vient pas… C’est peut-être la raison pour laquelle personne ne s’arrête tout à fait de tourner, de transformer les secondes en agitation, d’un point à l’autre de la Terre, de l’appartement, qu’il est si difficile d’être sage de se poser. L’étrange familiarité me saisit en me trouvant dans cette pièce, de me sentir chez moi, de l’avoir toujours sue, alors que les clés m’ont été remises tout à l’heure. Je regarde en direction du dôme. Le travail pécunier ne vient pas. Peut-être a-t-on décidé de m’accorder un temps, aujourd’hui. Le bruit qui vient est celui d’une soufflerie, basse, tout à fait réconfortante, car lointaine ; et des bruits de la structure comme le vent est présent. Ici, je me sens tout à fait chez moi. Je pourrais m’installer dans cette pièce : qu’apporterai-je ? Quelques livres de poèmes, peut-être oublierais-je le reste, je veux dire tous les ouvrages scientifiques, des naturalistes, les livres d’économie. Je garderais les livres comme les reliques d’un lieu simple, de ces chapelles qu’on trouve au sein de villages abandonnés, au flanc de falaise, mais qui gardent un sens profond de l’hospitalité, par leurs parures essentielles et discrètes, et ces quelques témoignages de visites, qui disent qu’elles ne sont pas oubliées. Il serait un canapé aussi, pour s’asseoir, réfléchir, dormir. Une chaise, une table ; Eh bien sûr le silence. Je n’ai pas d’autres besoins, et rien de cet ensemble ne nécessite aucune agitation. J’ai besoin de cet espace pour écrire ; mais si l’écriture se produit à cet instant, est-ce le fait de cet espace total qui revient au centre de la pièce : peut-on imaginer un écrivain privé de son matériel ? Il serait tout à fait nécessaire de m’enfermer à double-tour ; et de rester longtemps ici ; c’est bien cela : l’écrivain a besoin d’une pièce à soi : un lieu connu de lui seul.

« Older posts

© 2025 Raphaël Dormoy

Theme by Anders NorenUp ↑