Raphaël Dormoy

Littérature, écriture

24.11.2024

Que pourrais-je voir à quoi je ne sois pas attentif. Je suis attentif aux personnes, à leur posture, à quelques informations, panneaux d’information, à une atmosphère d’ensemble. “Attention, freinage puissant” est-il écrit à côté de la porte automatique, ou encore “Cédez votre place”. Mais je manque à chaque fois ces détails, comme par exemple les motifs du siège sur lequel la passagère devant moi est assise, ou la forme des poignets de sustentation, ou le nombre de stries du soufflet entre les wagons. Mais surtout, il est cette chose qui m’échappe toujours, qui échappe à chaque fois, qui tient en cette formule, salvatrice quand elle se rappelle à moi : Tout va bien, je suis arrivé. Oui, je suis arrivé. Où que le train aille, où que j’aille. Alors, je peux ralentir… Je peux  souffler… 
Mince ! mon arrêt.

 

08.11.2020

Je suis arrivé. Je suis arrivé.
Il faut voir les choses en face.
Je suis arrivé, point. Le long voyage a pris fin.
J’y suis. Cela peut paraître étrange,
d’entendre cet homme, assis sur un banc,
répéter sans cesse : Je suis arrivé.
répéter sans arrêt : J’y suis.
On pourrait presque croire qu’il voyage encore
et que ces paroles qu’il clame sont l’espérance qu’il se donne
pour sauter d’un train,
Cet homme assis sur un banc.  

 

23.08.2025

Il y aura toujours une attente,
Toute phrase précède un devenir
Toute phrase est un devenir.
Le lecteur est attentif pour les tenir, bout à bout
Et voir la flamme dans le circuit noueux de brindilles.
Il y aura toujours une attente
Cette flamme, dans les yeux de l’enfant, s’explique-t-elle ?
Elle est comme un rêve
On brûlerait sa langue de l’approcher, la faible précaution la ferait perdre, et nous fuirions celui ou celle qui substituerait son cœur danse, dansant, de paroles, inutiles.
Il y aura toujours une attente
On peut la porter, dessus l’index et le pouce, flamme ou idée, et la mettre en signe avec des feux follets dans la forêt du songe.
Pourtant, il suffit de la regarder, une et nue.
Il y aura toujours une attente
Et c’est ainsi.

09.08.2025

Je tiens un grand texe, dit-il faisant voler les feuilles. Je tiens un grand texe, ajoute agite-t-il en tous sens. Il traverse, sort, respire grand, s’assoit sur un banc, contemple les nuages, même si se présente, à son regard, la seule couronne verte et dense du copalme d’Amérique dont les trois pieds ombragent la place. Ah ah, clame-t-il, même si ce n’est qu’un unique sourire qui se dessine sur ses lèvres. Ah oh, s’aventure-t-il, en voici la preuve flagrante : ce grand texe m’a fait sortir de mes feuilles, de mes déboires, de mes rythmes, de mes soucis, les cela, pour m’asseoir sur cette place. Cette place réelle à l’ombre du monde, qui tient le monde tel un point ferme sur la page. Ah oh ah, fait-il encore tout en malice roulant vers la passante une œillade complice. Texe ; voyez comme il coule de source, d’une eau cristalline tandis que le vent bat une mesure, délicate, sur les feuilles, l’écorce, le corps, de son souffle enveloppant. Ainsi le rêveur, ainsi le poète, un rien l’habille. Ôter lui ses illusions, que resterait-il ? Ni les nuages derrière la couronne des arbres, ni ces interjections, ni l’air cristallin. Il resterait un homme, encombré de feuilles, de textes en déshérence, posés sur une table, et la petite place de la rue Hericart serait restée, à cet instant, tout à fait vide, sans cet homme pour crier oh ah derrière un sourire sincère, vers des nuages rêvés, aux formes éloquentes, dans un ciel tout à fait bleu.

09.08.2025

Que faire ? Quoi faire ? Que faire de ce lieu : est-ce même la bonne question ? Quoi faire. On y retourne comme un vieux paysage. Comme un lieu non oublié, le même ? Des décennies plus tard. Le même. Pourtant, il s’agit d’un simple quai de métro. L’un de ces vieux quais de métro que l’on empreinte chaque jour. Mais celui-ci est différent, celui-ci est spécial. Il me replonge dans ma nouvelle Bal de viande. Ou pour être exact, dans l’écriture de cette nouvelle, des décennies avant. J’ai laissé passer le métro. Mais à présent, je peux voir le même lieu, en ouvrant les yeux. Autrefois il me fallait fermer les paupières pour voir. Je suis assis ici, au milieu du même lieu. Étrangement, la temporalité de ce lieu échappe à toute considération, bien que l’éternité s’y loge avec la même facilité que mon fessier dans le siège curviligne. Et je me retrouve assis au même endroit, au même lieu, dans cette énergie de débauche pour former la ligne, la chaîne d’or. Chaque mot comme le maillon d’une chaîne, ajustée. J’ai laissé passer le métro. Le suivant arrive dans 10 minutes. Je suis deux décennies avant. Et nous communiquons. Je veux dire cet autre sait que je communique avec lui, à cet instant, comme ces autres fois où je suis déjà sur mon lit de mort, et qu’il m’arrive de me sourire — rétrospectivement.

06.03.2025

Tentative : les deux points
Mais le soleil darde ses rayons, les désarme toutes.
Mes paupières agissent comme parenthèse
La phrase prend l’air
Mon sourire soupèse le vide ;
J’accueille le regard des voyageurs comme une obole.
La chimère d’un hérisson traverse le couloir
Est-il un sourire, un soleil qui s’ignore ?
Je l’attrape entre mes points :
Le RER est une phrase qui s’ignore.

02.02.2025

Vie fabriquée tel un métronome, trônant sur la table. En ouvrant son capot, en libérant le pendule, on s’étonne que l’assemblage tienne la dragée haute — au temps. Il ne s’agit pas de segment, ni d’écart, mais de cet appel du même. Après ce que le tic, le tac, mesurent ? Va savoir : le rien, l’insignifiant du jour ? Le miracle lui tient dans : la goutte qui tremble quand elle existe. Pas plus. Mais la nuque inclinée d’une femme, mise en lumière dans celle du matin, devant soi dans le RER, sous son chignon haut, parée d’une bretelle, est un moment suffisamment rare, en accélère le rythme.

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