Raphaël Dormoy

Littérature, écriture

09.08.2025

Je tiens un grand texe, dit-il faisant voler les feuilles. Je tiens un grand texe, agite-t-il, ajoute-t-il en tous sens. Il traverse, sort, respire grand, s’assoit sur un banc, contemple les nuages même si se présente à son regard la seule couronne dense du copalme d’Amérique dont les trois pieds ombragent la place. Ah ah, clame-t-il, même si c’est un unique sourire qui se dessine sur ses lèvres. Ah oh, s’aventure-t-il, en voici la preuve flagrante : ce grand texe m’a sorti de mes feuilles, de mes déboires, de mes rythmes, de mes soucis, les cela, pour m’asseoir ici sur cette place. Cette place réelle à l’ombre du monde, qui le tient tel un point ferme sur la page. Ah oh ah, fait-il encore tout en malice roulant vers le passant une œillade complice. Texe ; voyez comme il coule de source, d’une eau cristalline tandis que le vent bat une mesure délicate, sur l’écorce, le corps de son souffle enveloppant. Ainsi le rêveur, ainsi le poète, un rien l’habille. Ôter lui ses illusions, que resterait-il ? Ni les nuages derrière la couronne des arbres, ni ces interjections, ni l’air cristallin. Il resterait un homme, encombré de textes, de feuilles en désherence, posés sur la table, et la petite place de la rue Hericart serait restée tout à fait vide, sans lui pour dire oh ah derrière un sourire sincère, vers des nuages rêvés, dans un ciel tout à fait bleu.

 

09.08.2025

Que faire ? Quoi faire ? Que faire de ce lieu : est-ce même la bonne question ? Quoi faire. On y retourne comme un vieux paysage. Comme un lieu non oublié, le même ? Des décennies plus tard. Le même. Pourtant, il s’agit d’un simple quai de métro. L’un de ces vieux quais de métro que l’on empreinte chaque jour. Mais celui-ci est différent, celui-ci est spécial. Il me replonge dans ma nouvelle Bal de viande. Ou pour être exact, dans l’écriture de cette nouvelle, des décennies avant. J’ai laissé passer le métro. Mais à présent, je peux voir le même lieu, en ouvrant les yeux. Autrefois il me fallait fermer les paupières pour voir. Je suis assis ici, au milieu du même lieu. Étrangement, la temporalité de ce lieu échappe à toute considération, bien que l’éternité s’y loge avec la même facilité que mon fessier dans le siège curviligne. Et je me retrouve assis au même endroit, au même lieu, dans cette énergie de débauche pour former la ligne, la chaîne d’or. Chaque mot comme le maillon d’une chaîne, ajustée. J’ai laissé passer le métro. Le suivant arrive dans 10 minutes. Je suis deux décennies avant. Et nous communiquons. Je veux dire cet autre sait que je communique avec lui, à cet instant, comme ces autres fois où je suis déjà sur mon lit de mort, et qu’il m’arrive de me sourire — rétrospectivement.

06.03.2025

Tentative : les deux points
Mais le soleil darde ses rayons, les désarme toutes.
Les paupières agissent comme parenthèse
La phrase prend l’air
Mon sourire soupèse le vide ;
J’accueille le regard des voyageurs comme obole
La chimère d’un hérisson traverse le couloir
Est-il un sourire, un soleil qui s’ignore ?
Je l’attrape entre mes points :
Le RER est une phrase qui s’ignore.

 

02.02.2025

Vie fabriquée tel un métronome, trônant sur la table. En ouvrant son capot, en libérant le pendule, on s’étonne que l’assemblage tienne la dragée haute — au temps. Il ne s’agit pas d’écart, mais de cet appel du même. Après ce que le tic, le tac, mesurent ? Va savoir : le rien, l’insignifiant du jour ? Le miracle lui tient dans : la goutte qui tremble si elle existe. Pas plus. Mais la nuque inclinée d’une femme, en lumière, devant soi, sous son chignon haut, parée d’une bretelle, dans le métro, dans l’air du matin, est un moment rare, en accélère le rythme.

 

16.03.2025

J’ai décidé de me ternir au plus haut point que je connaisse. Je ne vois pas d’autres aventures à tenir dans les jours, les mois, les années. Je serai débarrassé des scories des jours. De là, le monde serait différent, même si rien ou peu changeait dans la programmation des jours. Je crois que rien ne changera dans mon apparence, je veux dire que rien ne semblerait suspect ou de neuf, à moins que mon regard interrogateur finisse par semer le trouble chez mon interlocuteur. Mais après tout, depuis des années je fréquente mille personnes et je ne suis pas plus avancé aujourd’hui pour savourer où ils habitent.
D’ici, tout est différent, et pourtant je n’ai bougé ni de place ni de posture. Un siège de Ter, en première rame, en rez-de-basalte, appuyé contre la vitre, la jambe croisée sur la seconde. Alors évidemment l’inadvertance nous fait perdre l’assise. On tombe on retombe. Mais j’ai décidé de tenir la position. Et peut-être après tout est-ce parce que le pense-bête n’était pas incarné. J’imagine un gros oiseau, ou plutôt un gro oiseau, sans liaison, avec élision, c’est qu’il se tient droit, qui ne tombe pas dans la facilité de coller au dossier, d’adhérer, pour s’enfuir et se perdre dans tout ce que le monde charrie par la force mécanique des jours. Oiseau. Il n’y a plus qu’à tenir, ici. Et d’éclairer. Il faut imaginer une lampe torche qui ne porte qu’à quelques secondes, c’est peu.

 

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