Perdre ou sauver ?
Elle pourrait être dite sur tous les tons, cette phrase
Du halo de lumière à la cire.
L’éteindre est-ce la perdre ?
Le fil reste tendu
Et le nuage est une espérance d’eau, qui dit :
La feuille reste blanche.
Littérature, écriture
Perdre ou sauver ?
Elle pourrait être dite sur tous les tons, cette phrase
Du halo de lumière à la cire.
L’éteindre est-ce la perdre ?
Le fil reste tendu
Et le nuage est une espérance d’eau, qui dit :
La feuille reste blanche.
Editer est une vanité avec laquelle certains poètes s’accordent peu ou mal. Mais un poète édité, quel devient-il ? Un poète qui se retrouve dans. Dans le livre. Se sent-il à l’étroit. Ecrasé, figé, oublié ? Entre deux livres du même étage, sous la table. Discute-t-il avec son voisin de fortune ? En a-t-il seulement envie ? Et quand le livre se ferme, ne souffle-t-il pas ? Quant au lecteur, celui qui se présenterait tout à fait par hasard, la tranche étant trop petite (c’est voulu par l’auteur), aurait-il envie de ? Ne peut-on pas écrire loin. Le miroir lui non plus ne cherche ni à séduire ni à s’essayer dans les mains d’un hôte. Et si le lecteur s’empare de la phrase, quelle sera la réaction spontannée du verbe ? Mais par pêché d’orgueil, le poète se retrouve avant, après, loin de toute opération.
Je pars toujours quelque part
Rien n’y fait
C’est le premier réflexe quand on lâche prise du moins chez moi, du moins maintenant
Ah que le maintenant devrait être une simple vague, vaguelette, vague
Son mouvement suffirait
Il y a le flux des usagers, on dirait des poissons dans le courant
Et si je suis immobile c’est que j’attends le train
Ah ça y est vite vite voiture 25
Mais aujourd’hui je pars pour moi,
Pour un moi tendre ;
Un frisson parcourt l’échine ; sur le vieux rail.
Le chef de bord est heureux de se couler dans sa voix. On dirait qu’il a attendu ce moment-ci jusqu’à ce jour ; comme le plongeur qui met sa combinaison. Le quartier de La Défense se dessine dans la brume.
Puis le vert.
La ligne ondule.
À qui s’adresse-t-on ? Aux arbres ? À l’élégant sapin ? À la fumeuse de joint en contrebas ?
Pourquoi la pensée silencieuse ferait-elle trace ?
Les maisons de briques rouges apparaissent
« Intermarché » : n’est-il pas une parole qui se veut rassurante ?
Le ter grince beaucoup trop.
Je m’imagine dans un lit, avec la passagère assise à côté de moi, lisant certainement les nouvelles sur son téléphone (à sa manière consciencieuse de bouger lentement l’index sur l’écran)
Je l’imaginais à côté de moi, m’enserrant le visage dans une main ; à l’écouter me dire des mots d’amour.
Nous pourrions faire la paire, me dis-je. Mais la vue de ses chaussures, des mocassins de velours à boucle, inocule un doute.
L’équilibre paysager, fait de vertes collines, de franges et de haies, boisées, d’herbes grasses et de cours d’eaux, joue à présent ( sauf quand ) ( sauf quand l’homme y visse ses lotissements).
Les goélands culminent
Maison à colombages
Et si une pensée la traverse, ce n’est pas grave.
Au port : Le rire des mouettes et le pauvre Saint-Père sur la croix. Et les pâquerettes à ses pieds.
Et Dieu dans tout ça ? Sous la jetée.
Étrange, très étrange. J’ose à peine tourner la page, mais je suis bien incapable de tourner les talons. Il faut un sacré talent pour tenir ainsi, en haleine — quoique rien ne se passe, que les moutons paissent, et passent. Étrange, très étrange. Je me tiens sur la bordure. Tout comme mon lecteur, je regarde. Et que voyons-nous ? Une histoire sans queue ni tête néanmoins sue depuis longtemps par tous les pores. Des moutons, des moutons rebondissants. En veux-tu, en voilà. Des moutons, épais comme des moutons, qu’il est difficile de déloger de leur statut de mouton. Et d’ailleurs le mot n’est-il pas lui-même un mouton laineux, débarrassé de son trop plein de voyelles et de consommes ? Ainsi, nous nous trouvons malgré nous sur une aire de moutons, avec un chien, un border collie qui sorti de sa niche nous tourne autour. Ce chien nous tourne autour encore. Il suffit d’enjamber délicatement. Je n’avais jamais envisagé à quel point les mots épousaient la courbe molletonné du monde. Un bon roman mettrait-il un m en chaque mot ? Mais là n’est pas le propos vous comprendrez, en plus qu’il va être difficile de semer le chien, maintenant qu’il nous suit, qu’il ne nous lâche pas des yeux.
Pierre écrase peau
Sommeil long
Tous les corps sont figés dans l’éboulis des jours
La mort délivrerait
Herbes grasses le long de la voie
le long des rails, ligne luisante
Poissons ferrés ou suffoquant le long le long
(Tout le monde rêvent d’aquarium)
La virgule frétille.
Je quitte ma lecture. Je ne peux l’empêcher. Assis dans le RER je lève les yeux. Je les ferme. Je lève les yeux. Le dire ne suffit pas. Mais le vertige est grand. Jubilatoire. J’en ai mal aux dents. Pourquoi oublierai-je ? Est-il une communauté du dire ? Ou moins, ou mieux. Une communion. Chaque mot serait flamme. Comment arrive-t-on ici ? Entre deux moments, le lieu luit, n’a pas changé. Il est une évidence.
C’est vrai,
J’avais oublié.
J’avais oublié.
La ponctuation à son importance.
Cela se joue ici, entre la lettre et la virgule, entre l’espace et la lettre, entre l’espace et le signe ; (peu loin)
Entre la représentation de l’endroit et l’endroit, entre l’endroit et sa représentation ; aux marges de la trace, dans la trace elle-même : quand la boue creuse la flaque et la flaque le ciel.
Non que le ciel soit sous les yeux, mais c’est tout comme, sous la paupière (fermée), quand le nulle part apparait, malgré malgré.
Le mot dit une reconnaissance,
Il ne désigne pas l’objet
mais la reconnaissance,
Qu’a-t-il reconnu qui vaille d’être nommé :
La glycine en fleurs
La jambe jupée
Qu’a-t-il reconnu ?
Mon passé est une boule de graisse, au vent
Que les oiseaux de mémoire picorent
Infatigables
Dans le froid,
Tout se tait
À part la mort avec son goitre
Mais l’oiseau lui pépie
Vois ces phrases
Ce sont les siennes ;
Ils pépient.
Entre ici et ici, est-il un vertige calme ?
J’aimerais
Mais le paillasson n’est pas vierge
Et si je l’ôte ?
L’espérance serait que la salle d’attente soit en réalité jetée
Jetée d’un ancien port
Et qu’à mes pieds sur le lino
D’autres rêves, tels des poissons, daignent s’approcher.
© 2025 Raphaël Dormoy
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