Il me tarde l’arrivée d’un monde où il serait strictement interdit de rire dans les transports. Oui, comme autrefois dans les photomatons : oeil ouvert, oreille visible, moue convenue. Ou comme à cette époque ancienne où le costume était de mise avec son éternelle cravate, grande vainqueur de la guerre des nymphes. Oui, un monde sans visage où le visage ou la moue tiendrait lieu de costume, avec des caméras partout histoire de nous rappeler que chacun est surveillé. Un monde où le sourire serait louche et celui d’un sourire à votre adresse profondément suspicieux. Un monde où le rire ressemblerait à une bouche de métro.
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Ils ont effacé le coeur
ils vont le couvrir de chaux et de peinture
Demain, le coeur aura disparu
le mur sera blanc et lisse,
mais l’empreinte reste en moi.
Souviens-toi
à chaque instant souviens-toi,
Souviens-toi qu’elle te précède
à chaque instant, devant toi,
Et si tu ne te souviens pas
sors! et si la sortie t’est barrée
n’oublie pas qu’elle t’entoure.
Aujourd’hui on est allés voir la Seine
on a mis une bougie
on a vu le cerisier d’hiver
en fleurs
on a regardé les abeilles
on a enserré un arbre
un gros, un grand un petit
on a couru
on s’est cachés,
la veille on a planté un arbre,
la Seine est en crue.
Un homme est comme une plante
il lui faut beaucoup de soleil : un peu quand même
il faut qu’il puisse dire “Je t’aime”
et que son sourire arc-en-ciel se dessine quand une goutte tombe sur sa joue
Un homme a besoin de courir comme une plante
d’embrasser et d’aimer comme une plante et de regarder le ciel
Un homme a besoin de regarder, de toucher, de palper, comme une plante
Un rayon suffit, une goutte suffisent, pour que le paysage devienne corps et le corps paysage
Enfin, tout dépend de la plante
L’homme est une lumière, un pouvoir. Certains sont obligés de concentrer leur lumière en un point. Cet effort leur rend l’Univers particulièrement âpre, et leur séjour sur Terre sensiblement précaire. Ceci n’enlève rien à la beauté reçue. On pourrait voir en ces hères des distingués, des dislingués, des disloqués. C’est sans sentir la masse d’une goutte d’eau, capable d’ébranler la surface du désert. Mais qui la saurait ? Qui la reconnaîtrait ?
Au boulot, au bureau, entre deux cafés, entre deux mails, les gens s’évertuent à vous raconter leurs histoires : le matin, le café, les encombrements, la couche, la belle-soeur, le bébé, les enfants, la montée de lait, les vacances, etc. Mais, croient-ils à toutes ces histoires qu’ils vous racontent ? On dirait, tandis que moi je n’ai aucune histoire à raconter. Je suis un réceptacle où la pièce tinte. Mon état se résume en ceci d’attendre que la pièce tinte ; puis, de la voir tomber, dans le réceptacle, et vibrer tinter – sa vibration me fascine – avant qu’elle ne trouve sa position de repos. Oui, et devant mes collègues que j’écoute d’un oeil disjoint, certaines assises, d’autres debout, l’énergie de la pièce se transmue alors dans mes ailes qui se mettent à vibrer. Je quitte alors mon bureau, et mon bureau.
La vie a quelque chose de silencieux et de profondément inquiétant. Autrefois, j’aimais me faire peur. Mais maintenant que la mémoire du passé a disparu, maintenant que cette mémoire n’est plus que souvenir, qu’il ne reste rien, plus rien que quatre meubles, la vie reprend ses droits, lentement, doucement. Mais j’ai vu, et je vois encore, ce lieu terrible : je ne veux pas le nommer gouffre, puisqu’il m’entoure. Entre ces murs, ma mémoire n’est plus qu’une toile sans attaches. L’angoisse d’une solitude où mémoire, histoire, altérité, où tout aurait disparu, tandis que le corps bascule et roule. Autour de moi, toutes mes figures tutélaires qui furent mon refuge s’éloignent aussi. Je suis seul. Je suis seul et je suis celui qui occupe le centre d’une figure absente. Le centre d’une figure sans bord. Le centre de rien. Je suis peut-être à l’extrême du monde, là où les lois de l’attraction cessent, là où le silence reprend sa forme. Mon besoin de l’autre est total. Mais quel autre ? L’humanité fourmille de nous-mêmes partout. L’habitude d’un autre permet-elle de rompre avec le vertige sacré. J’aspire au long silence d’études et de travail. Le bourdonnement de la mouche n’a pas changé.
Le passé est loin, l’avenir n’est pas et le présent
Qu’est ce ? Un banc sur lequel mes fesses,
– le présent s’efface
La légende dit : les anges soutiennent le monde.
A nouveau je suis à la frontière.
A la frontière, c’est l’homme sans Dieu
L’homme fait homme mais sans lien
Peut-être est-ce Dieu lui-même.
On a scié l’arbre
Et les pigeons dans leur vol ressemblent à
Des pierres tombales.
Mes illusions sont tombées
je ne sais pas si ça change quelque chose à la qualité de la lumière
mais je suis assis à l’angle des rues Daguerre et Lalande
et la femme qui passe devant moi
et je bois un verre de vin pétillant
et la femme qui passe devant moi
a beau avoir un gros ventre, elle est enceinte ?
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