La lune dans les tilleuls
Et si j’agitais la lune
Combien de pièces d’or
Littérature, écriture
La lune dans les tilleuls
Et si j’agitais la lune
Combien de pièces d’or
Chaque fois que je prends le métro,
je me rappelle ô combien j’ai la chance d’être joyeux
mais, peut-être que tous ces gens autour de moi portent-ils des masques de fête ?
que les regards se concentrent à ne rien dévoiler de la fête ?
qu’ils font mine de ne pas voir mon sourire, mes clins d’œil,
trouvant plein de prétextes — toux, rictus, écrire un message, rictus — oh oh
finalement le métro est une grande fête
et nous attendons l’arrivée de la Nuit
pour nous dévêtir.
Nous sommes déjà morts, mais nous ne le savons pas. Ou l’avons oublié. Ou peut-être les gens taisent ou le savent ou l’ignorent. Peut-être serait-il difficile de mettre un mot dessus, dessus quoi. Dessus quoi hésite. D’autres sont ici, sans se souvenir. Nous sommes sur la ligne de bus 68. D’autres sont si concentrés sur la lecture de leur livre qu’ils deviennent un fil tendu entre les mondes. Je marche dessus en équilibre. D’autres déroulent le fil de leurs pensées et gare au freinage du bus. Beaucoup se taisent et certains réussissent à faire sourire un mort.
Dans la pluie d’octobre
Les tilleuls se sont vêtus
D’un peu plus d’or
Le tulipier de Virginie
Vois mes richesses, fait-il
Dans le vent d’octobre
“Pourquoi suis-je là ?” J’ai retrouvé le fil et par conséquent la question reste entre mes doigts. Je ne sais qu’en faire. La question de ne se pose même pas. Les volumes sont pleins. Même les volumes vides. Je lance un regard à ma voisine avec la question dedans pour être sûr de l’avoir quittée. Non, il n’y aucune place pour aucun doute. Mais bientôt je me rends compte que nous allons nulle part ; que le métro a beau se déplacer, c’est le présent qui se déplace et le présent est ma seule destination. Je me lève, je m’assois, je me lève, je m’assois. Bientôt je vais m’inventer un but, celui qui m’a fait monter dans la rame, et j’oublierai possiblement ma première destination.
La virgule saute les points, applaudissent… Elle s’est mise à battre, la pluie cogne. Je sors de la flaque une serviette, l’ouvre et la pose sur ses cuisses: elle transpire, respire, m’inspire. « Do you have some paper ?… she breathes. – Yes, I do. » Ces yeux, ô ses yeux si tu savais ! fixent l’horizon, moulent sa ligne. Et ses doigts, ils effritent une matière: elle est brune, érotique. Je lui tends mon briquet. Une phrase en a jailli qui la fait rire. Je voudrais tant lui plaire; mais l’homme, est-ce exotique?
Des cocos ne tombent pas du ciel. Je les sabre et verse en ses lèvres un goût de poésie. «T.O.T. ma belle, ta langue ne m’est pas étrangère. » C’est évident! je survivrai en ses bras. Elle esquisse un sourire. Il pleut, il pleut. Les miens cherchent les siens. Mais déjà, elle n’est plus.
Poèmes de jeunesse, 2006
Nuit stupéfiante, je me remémore.
Dans le cimetière cette nuit, j’écoutais mes pas quand un bruit non loin me fit sursauter.
Le vent ? Je voulais m’en convaincre, mais les feuilles craquaient, une ombre se mouvait.
« Qui va là ? » lançai-je.
Pas de réponse —
Avec courage, je sommai une seconde fois l’inconnu : « Halte là, ou je me tue ! »
L’ombre s’immobilisa, une voix s’anima.
« Je suis le gardien. Vous n’avez rien à faire là, c’est interdit. »
Mon soulagement équivalait bien à une amende.
Je courrais et sautai dans ces bras, il n’en avait pas.
Poèmes de jeunesse, 2006
Prenez un cheveu
et
sans éternuer
jetez-le dans l’azur
Aussitôt rattrapez le
cheveu
x encore et encore
jusqu’à ce que
femme apparaisse
Alors seulement alors
soyez convaincu du reste.
Poèmes de jeunesse, 2006
Il n’est pas si longtemps, j’ai rencontré un drôle de chasseur. Il était à l’affût au bord d’une futaie, l’air affûté, le corps ébahi. Les yeux ronds et silencieux. Il me fit signe de me taire, d’un geste de la main « de me terre ». Je ne compris pas tout de suite, mais l’homme ne fit que croître ma curiosité. Je m’approchais. Je trouvai place à côté de lui, dans sa cachette, avec suffisamment d’ouverture pour tout saisir, du moins le croyais-je.
– Chut, fit-il, en faisant un mouvement avec la main, du haut vers le bas, comme s’il aidait une entité abstraite à descendre du ciel. Était-ce un oiseau ? Quelques compagnons ? Un ange ? On n’y voyait rien. C’est un grand ciel blanc. Et toutes les hypothèses tombaient les unes derrière les autres puisqu’il n’y avait rien dans le ciel qu’un grand ciel blanc. L’homme fit passer ses mains à la verticale, de la gauche vers la droite, sur une ligne imaginaire, comme s’il cadrait quelque chose. L’homme se concentrait sur cette chose avec une telle intensité que l’intensité elle-même précipiterait bientôt. Je plissai fermement les yeux.
« Mais enfin, lui dis-je, que faites-vous ?
– Je chasse les nuages, laissa-t-il s’échapper.
– Mais en quoi cela consiste-t-il, demandai-je.
– Il faut être patient, faire le grand saut.
– Oh ! Et puis ?
– Parfois une forme se fait, plus matérielle qu’aucune autre. Elle peut disparaître.
Je laissais passer un silence.
– Et après ?
– La suite m’échappe, dit-il. Je les regarde passer, sans les regarder passer, ajouta-t-il, se tournant vers moi, levant les mains.
Je regardais avec insistance. Mais bientôt ses bras s’éloignaient, s’allongeaient, et ses joues se mirent à gonfler. Je vis, en clignant des yeux, une sorte de personnage, entre des morceaux – flottant, souriant. On eut même dit que ce drôle de personnage me regardait, avec une attention particulière. Je vis qu’il vit, il lança un clin d’œil, comme je me dressai, avant de disparaître.
Oh, dis-je dis-je, deux fois. Quel drôle de personnage, pensais-je en me relevant complètement. Je m’étais assoupi au bord d’une futaie, et à ladite place où j’étais persuadé d’avoir vu ce chasseur de nuages, il n’était rien, nulle présence, sinon des mûres, bien mûres.
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