Le ciel est plus bas. Beaucoup plus bas. Les visages grimaçant ; cela se voit malgré les masques. Les visages se distordent un peu, fébrilement. Pour les moins préparés ? Pour les plus soumis aux variations physiques du milieu ? Ça sent la merde. Nous aurions dû déjà quitter la zone de nuit. Mais elle parait s’allonger. À moins que la perception du temps évolue elle aussi. Pas le choix que de monter dedans. Pas le choix que d’endurer. La lumière qui traverse la rame est un avant-goût du rien. Des enfers. Vitres sales. Épaisseur de traits. Soleil dégorgeant sa lumière sale. Le passé n’est plus qu’un lointain souvenir. Un souvenir mal arrimé dans le temps. Le langage pourrait être ce qui me relie à l’avant, comme une torche éclairant ce qui vient, ce qui se présente. Deux grosses piles là-dedans. Et peut-être que toutes ces statures assises, statues blanches, peuplant la rame que la lumière blanchit davantage, peut être qu’un évènement (une poussière ?) les réveillerait toutes. Les rêves des nuits précédentes, d’autres fois, de la nuit dernière se pressent aux carreaux sales, comme des enfants curieux. Je suis sauvé, me dis-je. Suis-je sauvé ? redis-je, tandis que la rame continue de s’agglomérer de corps, et que la réalité se désagrège à mesure qu’elle avance. Je vérifie ma lampe. Je la secoue. Des voisins s’échangent un filet de bave, et de banalités. Je me concentre sur le détail comme je l’ai appris autrefois. Le ciel n’est pas plus haut. Mais à considérer les reflets qui se songent en lui, l’autre monde m’apparaît, intact. Nous longeons le fleuve, c’est écrit dans la vitre. Et dehors, il reste l’espoir que le néant n’ait pas tout à fait disparu, à le regarder de près, intact lui aussi le long de la ligne blanche qui court près de nous. Le téléphone de ma voisine sonne. Les objets inanimés n’en sont que plus éclatants. Animés, inanimés. Arbres, feuilles, siège, immeubles. Même les sièges de la rame. Tous les sièges. Tous semblent animés d’une petite phrase, singulière, mais ce n’est pas assez audible de là où je suis assis. D’une phrase et d’une posture. Je serre plus mon sac dans mes bras. À présent, le ciel est féérique. Quelqu’un crie. Fort dans une langue que je ne comprends pas. Ici la lumière tente d’agripper le monde, comme une algue son volume de ruisseau. Un mouchoir sale est resté sur le siège devant moi. Le véhicule continue de se rétrécir. Il formerait presque un tube de néon, comme on sait ce qu’ils sont. Le merveilleux perdure dans ces volumes de ciel et de lumière. Les lumières viennent de s’allumer dedans. Il reste une ligne. Ou un point. Selon. Néon.
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Rien ;
Si je pouvais prendre racine sur ce banc
Je serais heureux comme un arbre,
Je n’avais pas vu un arbre sourire
D’ailleurs il danse ;
Même les pierres des façades respirent.
L’homme est une parenthèse de sens
J’aimerais être en elle — nue et silencieuse ;
Peut-être que la lumière ne suffit pas,
Mais elle est préférable aux ténèbres
— Mais quand tout est silence ?
Je suis là Je suis arrivé répète-t-il.
Une pincée de sel de mystère d’absurde
Une pincée de rien et de merveilleux
C’est un drôle de cocktail que sert la barmaid.
Habiter. Habiter autrement l’espace. Habiter autrement les lieux que nous traversons tous les jours. Les rendre illisibles. Comme on pose un bouquet de fleurs relâché sur une table. Les fleurs finissent par disparaître, avec la table. Accepter de rendre tous ces lieux illisibles, sauf les formes primaires : le rectangle d’un lit, le rond d’un verre. Cet élan nourrit des souvenirs : le balai d’un enfant. Accepter d’emprunter ces formes nouvelles — même si elles rendent un certain vertige. Sombrer dans le sommeil serait un piège et ne rien noter serait l’évidence même, comme un cerf-volant qui passe sous les yeux avant de disparaître. Oui, se laisser traverser par ces formes nouvelles. Accepter leur dualité-contexte. Accepter de ne rien céder au chantage serait cent jours sans invariant. Faire le tour d’un rêve oublié. Accepter la relance tardive, et saisir l’eau où la pensée s’instruit. Promesse de fontaines.
Arrêter, mais si j’arrêtais.
J’ai peur. C’est exquis. Je ralentis.
Il ne reste plus qu’un principe d’inertie qui porte encore mes pas.
Jardin du Luxembourg ou ailleurs.
Méfions-nous de ces arrêts brutaux qui remettent en marche le moteur.
Arrêter. Le fil de l’histoire se distend.
Chaque émergence de discours pourrait être un presque étonnement, mais il reste un fond de cale.
Arrêter, laisser les signes se détacher.
Les montrer or
comme les feuilles du févier d’Amérique.
Mais pourtant, le monde m’emporte dans sa course, à nouveau.
Et je rêve d’un banc volant.
Je me mets toujours côté mer
même si c’est la Seine
même si c’est le tunnel
Ah, la Seine
Les loupiotes du tunnel éclairent mon intérieur
les sièges rose fuchsia égaient l’instant
et les langues dans le haut-parleur livrent une pointe exotique
Ah, la Seine
Je me prépare à la joie
Je me mets toujours côté mer
Je me fais bercer par le tétum tétum des rames
par l’océan qui se déverse dans mon oreille
Une histoire traverse un livre,
mais la rame, que charrie-t-elle ?
Le train sera sans arrêt jusqu’à Juvisy,
c’est écrit, dit la voie
Oh ciel, oh mer, oh charité,
oh clarté.
Enfin, enfin !
Enfin, je ne suis plus obligé de dire que «la chaise» est la chaise.
Je puis relâcher la pression, et m’asseoir,
me laisser emporter par le mouvement du train
— quelconque, sans obligation de dire :
j’ai relâché le costume.
Je l’ai posé à côté de moi,
je suis posé à côté de lui ;
Cet autre qui sourit dans la nuit.
Enfin, enfin !
Enfin, je ne suis plus obligé de dire que «la chaise» est la chaise.
Je puis relâcher la pression, et m’asseoir
Me laisser emporter par le mouvement du train
— Quelconque, sans obligation de dire :
J’ai relâché le costume.
Je l’ai posé à côté de moi,
Je suis posé à côté de lui,
Cet autre qui sourit dans la nuit.
Enfin, enfin !
Enfin, je ne suis plus obligé de dire que «la chaise» est la chaise.
Je puis relâcher la pression, et m’asseoir,
Me laisser emporter par le mouvement du train ;
Quelconque, sans obligation de dire :
J’ai relâché le costume.
Je l’ai posé à côté de moi,
Je suis posé à côté de lui,
Cet autre qui sourit dans la nuit.
J’avais oublié.
La lumière revient de manière intermittente.
Je me rends compte à nouveau m’être trompé d’espace.
J’y suis.
Les phrases sont comme l’espérance d’amadouer l’oiseau,
De le toucher des yeux, une fois encore ;
Comme la flammèche que le corps protège.
Ici, rien de terrible ne pourrait arriver,
si ce n’est le sourire et l’impossibilité de dire.
J’y suis.
Cette phrase que je déroule comme une corde me lie encor à ce monde
de manière certaine.
Pourquoi ne pas y rester ?
(le poème du ter)
Si tu as peur, sois rassuré.
Tu as déjà connu cette peur, et des plus profondes.
Si tu as peur, c’est que la roue tourne encore.
Cette roue, va-t-elle où tu le souhaites ?
N’eus-tu pas préféré qu’elle reste immobile ?
Que d’efforts pour si peu.
Il faut accepter ce qu’elle déplace de poussière,
de boue, et que le paysage qui se reflète, qui se forme dans la trace,
soit celui des canopées et de formes nouvelles.
Les rêves y sont vivants et vivaces,
archaïques, et contrastent avec la portée des jours.
Ina —
Les nuages eux-mêmes ne bougent plus
Ina —
Les corps sont des masses qui déplacent l’air chaud
Ina —
Un, deux, trois corps
Ina —
Les arbres pas ceux dont les feuilles ont péri
Ina —
tous les arbres sont en alerte
Ina —
Les rues sont vides
Ina —
La corneille tire le bec
Ina —
Les volets sont clos.
Le chant de l’oiyeau
Manger les mots manger le monde
Manger les mots manger le monde
Manger les nuages la terre le soleil les vivants les nages la terre le soleil
l’horizon lon le l’ion le zion rizon mais
Cracher l’oy du s’leil.
Manger macher manger macher
Acher le s’leil les vivants, hacher achat, cheter chever mais où la mets-je l’image maintenant que l’écran fond avec la la neige et le spectacle.
Ondes vertes Ondes vertes Tout va bien !
La peau du poulet cuit, croustèle, et soyons digne de la colère cet autre croq !
La peau croustile, croq et cocorico ne te blesse,
Tout doux le gentil croq : Alors trou va bien.
Macher le mur macher les terres, jou ! et construire des routes et des tours, des routes et des tours, partout partouze de lumière,
et des trous truelles et truies ruelles, des ports et des portes sur nos têtes
pour se cacher du noy de s’leil et de la lune.
Et chacun dans sa tour Et chacun dans sa noue
Et chacun panse Manger mâcher ce qui reste la terre la traire la taire jusqu’à ce que ce qu’il reste c’est le bout de ses doigts de ses droits de ses ongles de ses onges, à cracher le bout de son aile puis c’est l’appeau puis c’est les eaux toutes les os contaminés à les pisser prisser par l’urètre.
Puis il reste quelques pensées parmi les ris parmi les par milliers
parmi les iens parmi les ni parmi les os parmi les ailes parmi les nids, il reste – “Oh”
Mais comment les sembler ?
Ce n’est pas comme la route ou la tour ou le trou où il suffit de truire et de struire
De sangler les mules et de les sembler de formules
De struire et de truire de machiner de Chine et de strousser le monde
Non ce ne sont pas non plus les streumons de ces tiquescientis qui stroquent l’alphabet pour faire des champs des chias des chameaux à tête de chats
et des hommes à tête de porc, ce n’est pas si simple l’amour
Ce n’est pas cracher l’oy du s’leil dans l’mur.
Alors quoi Alors quoi puisque tout est là et puisque plus rien est
Zyeuter le croq et l’aplumir ? faire croi chaque fois que l’autre croq fait sens
ou sucer le roulet du bourlet pour lui faire compagnie ?
N’est-il pas d’autres ien iens pour se faire une chaise avec ou sans trou mais tour honorable ?
Ah
Pour perdre tout espoir il eût fallu manger l’oy du s’leil jusqu’au dernier ieu de la terre
Mais il reste l’oy
Il reste l’oy et le chant d’un oiyeau.
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