La question de la page. Des années ont passé ; c’est toujours la même question, interrogation. Par question, il faudrait peut-être entendre cette paupière — où est-elle située — qui s’ouvre sur la surface blanche — comme horizon du coeur ; comme lieu d’une intériorité qui se courbe à cet instant de m’y convoquer. Un messager sans message. J’ai souvent espéré ramener ici, et mon dieu c’est ici, le trésor sous mes yeux, mais peut-être est-il trop lourd, peut-être écrire c’est apprendre à danser, avec plus de poids qu’aucun âne ne saurait tirer. Mais quand j’ouvre les yeux, je comprends que cet ici se présente, et qu’écrire et vivre sont deux inséparables. Le monde sourit dans sa farce totale.
J’ai tenu la page.
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Mon rêve serait d’avoir une heure comme un tiroir. Une heure parmi les heures du jour. Mais une heure qui serait un tiroir qui échapperait au jour lui-même. Un tiroir magique, en ce sens que le jour, les événements du jour, n’auraient nulle emprise sur lui ; qu’il passerait inaperçu. J’ai regardé l’extrait d’un reportage d’un chauffeur routier qui dépensait tout son salaire en prostitués en Espagne. Il faisait la route des bordels, et que dans chaque bordel il ouvrait une porte, deux portes, trois portes, l’une après l’autre, le même mouvement de queue, la même enseigne, la même joie. Mais mon tiroir ne ressemble pas à cette joie. Puisque c’est un tiroir Ailleurs. Il serait un métier à tisser qui ferait un ouvrage, dont le principe ferait que je reprendrais cet ouvrage à l’endroit laissé, et je le continuerais sans me perdre, sans m’emmêler les doigts ni le fil. Mais qu’il suivrait un patron, parfaitement solide, qui échapperait à la conscience des jours. Une heure creuse, creusée dans la roche, qui vérifierait les ruisseaux et le pli de la montagne. Une heure creuse qui contiendrait cette fois-ci tout le merveilleux et la densité consciente de l’être. Un ouvrage qui n’aurait pourtant pas d’histoire à raconter, mais qui serait faite d’une aventure, mais une aventure faite d’un fil d’or. Un ouvrage que je pourrais reprendre à n’importe quel moment du jour, de l’éveil ou du sommeil. Un ouvrage qui gonflerait à mesure de son avancée, comme une immense toile. Un ouvrage qu’il ne serait pas possible de finir au prix de perdre soi-même, sa boussole et la lisière. Il ne pourrait pas être un ouvrage d’une folle ambition, sans quoi l’aventure échouerait dès la première ligne, dès le premier mot. Un ouvrage humble, à portée d’une phrase dans laquelle le lecteur pourrait se glisser en toute confiance malgré le vide sous elle, malgré le vertige. Un ouvrage dans lequel le lecteur pourrait avancer aveuglément sans avoir peur de perdre son âme ou son temps. Un ouvrage qui n’ôte pas l’espace aux autres vivants, mais qui les tiennent à portée de main. Un ouvrage qui garderait sa flamme quel que soit l’instant du jour, ou de la nuit à laquelle il serait repris, qui ne vous rendrait jamais seul malgré l’épreuve du recueillement. Un ouvrage qui serait lu ou pas lu, mais qui tiendrait cette place à part, à côté du cœur.
Je suis passé de l’autre côté. Je passe de l’autre côté. Je passe. J’y suis. J’oublie trop souvent que cet autre côté est ici ; ici même. Que l’antichambre des rêves est dans cette pièce. Qu’elle est là, le jour durant. Qu’il suffirait de le savoir. Bientôt, je basculerai de l’autre côté, je veux dire dans l’espace du sommeil tandis que les rêves sont déjà là, comme une flamme sous les yeux, comme le poisson qui nage tranquillement dans l’aquarium. On aura peut-être oublié le poisson au réveil, mais pas les nombreuses clés qui restaient là, et accrochées sur la porte des vestiaires. La littérature est un encouragement à sortir de la voie, à suivre la sienne.
Reprendre le trajet après une courte pause
Le corps dit non, trace sa tangente tandis que le train poursuit sa course dans la mouvement circulaire des jours.
Un repoussoir magnétique, bien vivant, qui me prouve rester vivant.
Comme dans ce train fissuré, il est du bleu du vert, mais bien d’autres couleurs.
L’enfant joue avec l’écorce des platanes,
l’émiette à l’eau de la fontaine.
Une cigale montre l’étendue de sa gamme.
Les humains déjeunent place de l’Eglise :
Bon appétit, chante la serveuse
Le soleil ruisselle dans les verres
Pas d’autre chute que le clapotis de l’eau.
Les moineaux vivent
Heureux
Sur les berges qu’ils n’appellent pas canal du Midi
Dans le lieu qu’ils n’appellent pas branches ni platanes
Bercés par le vent
Ils sont heureux
Je le sais,
D’aussi loin que ce lieu existe,
Aussi longtemps qu’il existe,
A l’abri des platanes.
Je le sais ils sont heureux
Mais ont-ils un nom ?
L’espace sauvage entre à nouveau.
Il suffit d’un peu de vert dans le verre train.
La verdure est dedans
puisque le verre est dedans,
puisque toute la scène est dedans avec la Seine en sus, elle-aussi devenue sauvage.
Pourquoi dirais-je « devenue » et non « redevenue sauvage » : puisque l’état ne va jamais de soi, est instable, est la partie merveilleuse du miroir quand il se tourne montrant sa cache avant qu’il ne revienne à son état d’équilibre.
J’écris « revienne » et non « vienne »,
Dans cet ouvert encore où vers
Un instant.
Peut-être vivons nous les mêmes lieux en rêve,
Peut-être voyons nous
La même chose se produit au même instant
d’êtres ayant vécu, étant présents, qui viendront
Au même instant d’êtres réunis
au même instant
Le temps n’existe pas
Ici.
Je tourne les yeux
Je me retrouve à nouveau dans le RER ;
Même constat
Un immense ciel bleu
Sous mes pieds, autour de moi.
Je suis libre libre libre, clame-t-il.
C’est désormais tu.
Comme à chaque fois
la ligne à tremblé – une lueur.
J’ai un hameçon dans le palais.
Vous vous apprêtez
à fermer la fenêtre
Mais voilà que tous les oiseaux se mettent à chanter.
Ce n’est pas grave.
Ferme la pour de faux.
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