Littérature, écriture

Catégorie : Madame Edmonde (Page 4 of 5)

06.02.2018

Il me tarde l’arrivée d’un monde où il serait strictement interdit de rire dans les transports. Oui, comme autrefois dans les photomatons : oeil ouvert,  oreille visible, moue convenue. Ou comme à cette époque ancienne où le costume était de mise avec son éternelle cravate, grande vainqueur de la guerre des nymphes. Oui, un monde sans visage où le visage ou la moue tiendrait lieu de costume, avec des caméras partout histoire de nous rappeler que chacun est surveillé. Un monde où le sourire serait louche et celui d’un sourire à votre adresse profondément suspicieux. Un monde où le rire ressemblerait à une bouche de métro. 

23.12.2017

L’homme est une lumière, un pouvoir. Certains sont obligés de concentrer leur lumière en un point. Cet effort leur rend l’Univers particulièrement âpre, et leur séjour sur Terre sensiblement précaire. Ceci n’enlève rien à la beauté reçue. On pourrait voir en ces hères des distingués, des dislingués, des disloqués. C’est sans sentir la masse d’une goutte d’eau, capable d’ébranler la surface du désert. Mais qui la saurait ? Qui la reconnaîtrait ? 

08.10.2017

Au boulot, au bureau, entre deux cafés, entre deux mails, les gens s’évertuent à vous raconter leurs histoires : le matin, le café, les encombrements, la couche, la belle-soeur, le bébé, les enfants, la montée de lait, les vacances, etc. Mais, croient-ils à toutes ces histoires qu’ils vous racontent ? On dirait, tandis que moi je n’ai aucune histoire à raconter. Je suis un réceptacle où la pièce tinte. Mon état se résume en ceci d’attendre que la pièce tinte ; puis, de la voir tomber, dans le réceptacle, et vibrer tinter – sa vibration me fascine – avant qu’elle ne trouve sa position de repos. Oui, et devant mes collègues que j’écoute d’un oeil disjoint, certaines assises, d’autres debout, l’énergie de la pièce se transmue alors dans mes ailes qui se mettent à vibrer. Je quitte alors mon bureau, et mon bureau.

20.12.2016

La poésie m’a quitté. C’est peut-être une bonne chose. Je longe les murs. Elle n’est plus en moi. C’est peut-être une bonne chose. Dans ma chambre, les livres s’entassent comme les souvenirs rangés au fond des cartons ; sauf que les livres sont placés sur mes étagères. Parfois, l’un d’eux traîne par terre pour une page qu’on chercha. Mais la page a disparu. La vie me semble  faite des multiples fils d’un étendoir – prendre soin de ces fils, les dérouler, les faire grandir – sauf qu’aujourd’hui, il n’y a plus rien à sécher. Cette absence de vue m’offre une vue sur la vie elle-même. Aujourd’hui la mienne s’exerce à… Point.

05.10.2016

Autrefois j’aimais la plage. Autrefois j’aimais la plage. Mon plaisir était double, inouï. Les autres ne comprenaient pas. J’avais du mal à mouvoir mes lèvres qui tremblaient. Pis, je répétais. Répétez ! me disait-on. Autrefois j’aimais la plage. Et il fallait deux fois à l’autre pour comprendre mon plaisir, sans jamais rien sentir. Autrefois j’aimais la plage. Moi, c’était ma façon heureuse, méthodique, mélodique, de dire à l’autre mon plaisir. Autrefois j’aimais la plage. Autrefois on ne s’encombrait pas. On laissait ce qui comptait. Moi, j’avais le sentiment d’encombrer avec mes deux bagages.

29.06.2016

Aujourd’hui, mes heures gagnées étaient : un rayon de soleil perçant le soir ; les pas d’un enfant explorant le monde, et son centre de gravité ; puis, à et instant de me coucher, le livre posé sur ma table, que je ne lirai pas ; enfin ce moment – ouvert. Si je mets bout à bout ces éléments, cela fait : six secondes pour le premier, trois pour le second, deux pour le troisième, et les secondes actuelles ; soit moins d’une minute aujourd’hui. C’est peu. Mais si ce rayon de soleil n’était pas venu, si l’enfant ne m’était pas apparu, alors ma journée n’eût connu nulle grâce, et je serais resté au seuil du monde et de moi-même, la porte fermée. 

23.06.2016

Avez-vous remarqué qu’on peut lire un texte, sans rien lire de sa suite ; sans rien décoder, continuant la lecture mécanique comme le sillon sur sa dague. Cette phrase ne veut rien dire, mais après tout, pourquoi pas. Les cloches sonnent les vêpres une fois par mois. Et ce genre de souvenir me fait voir l’onduleux pas des vaches. La tâche est tombée sur ma chemise ; je suis étourdi c’est ma faute. Je lis sans faire attention. Le livre disparaît à nouveau, nous sommes au soleil, il fait parasol. Personne ne peut toucher le soleil, mais tout le monde peut s’embrasser avec la langue. Ce n’est pas une question d’origine, mais d’impulsion de départ, quand les cartes sont redistribuées, comme au billard. On frôle le strike. 

19.05.2016

La vie est si précieuse — notre champ, ses possibles — qu’il est dommage d’entrer dans l’image. Mais c’est ainsi, point. Le sommeil nous apporte son lot de rêves, et — et l’image se meut alors ; les masses de feuilles s’agitent, des indices de chemins s’entrouvrent, et tout ce qui faisait contours nets fait taches et couleurs ; taches et couleurs par lesquelles le corps lucide voit et se meut. Soleil, les paupières s’ouvrent ! Et l’instant onirique flotte un instant encore avant de se résorber. Il est l’heure, en route ! On enfile une chemise, attaché-case, coup de peigne ; le corps s’élance. En route, vite : la journée sera longue. Un chat, assis sur le bord de la fenêtre, ouverte, voit l’homme s’éloigner dans le jardin, ouvrir le portail et repartir dans l’image, avant de refermer les yeux et de rêver. 

18.05.2016

Je quitte mes soucis. J’interroge les rails du métro. Bruit, sons. “Invalides”, “Invalides”, dit la voix deux fois. Les corps s’effacent jusqu’aux mollets. Des pieds entrent et sortent. Allez, quoi ; mon corps se gonfle à nouveau. Position ouverte, respiration ; décrochage. Tout le jour, un corps de réalité me traverse. Il n’est que la nuit pour faire tunnel, me dégager de son flux. Les gens toussotent. Les portes se ferment, les portes s’ouvrent. Attitude, gestes, regards : vaincues, postures vaincues. Les rails sont crissantes, mais la vision est lointaine : songe encarté dans son propre reflet. Je te salue Lazare !, “Saint-Lazare”, dit la voix deux fois. Station debout, je descends.    

08.04.2016

Les gens passent leur journée à boucher le réel. C’est leur boulot, leur travail, leur mission. Ils sifflotent, on se lance le sable, les briques, la truelle. On sifflote. Durant le jour, on bouche les trous comme on peut. Le soir, quand on rentre chez soi, le mur est terminé. La nuit bien sûr déconstruit le mur. Le ciment se dissout et les rêves circulent entre les briques à venir et celles du passé. Le matin on refait le même. Au boulot ! on sait faire, on est bon, pourquoi changer ? 

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