Littérature, écriture

Auteur/autrice : rd (Page 53 of 53)

Haïkus (extrait)

Le haïku est une forme qui m’accompagne
D’ici et là, quelques haïkus

allons donc mes yeux
quoi donc les fermerait
sinon le soleil

les gouttes de pluie
le silence en la vallée
se décline en gouttes

le chant d’un pinson
fait vibrer dans la vallée
les premiers rayons

la cuisson du soir
le chant de ma compagne
le son de sa lime

le cours du ruisseau
se détache de sa branche
et tombe dans l’eau

nuit orageuse
les insectes dans la nuit
montent d’un cran

son beau cerisier
il n’a rien donné, dit-elle
à celui qui l’admire

simplement vêtu
de sa tenue d’hiver
le vieux poirier

anodin, dis-tu
ses bourgeons côtoient la lune
au cœur de l’hiver

 

Essai sur la transcription – Journal des rêves (2013-2014)

La transcription des rêves suit une voie que la voie elle-même ignore. Par transcription, il faut entendre dans une carrière psychique, alchimie des fioles qui font jaillir l’exact souvenir. J’en bâille, je présume qu’il s’agit d’un encouragement. Souvenir dynamique et non pas souvenir rapporté. Là est la nuance, la faille océanique, le lien sismique. Le souvenir rapporté risque de faire échouer l’entreprise aussi vrai que la méduse supposée n’est bientôt qu’un sac plastique échoué sur une plage. Transcrire, c’est faire confiance au réel. Transcrire relève d’un ordre mystérieux, cependant exact, aussi vrai que le sujet refait l’expérience de sa finitude en ouvrant les yeux. Transcrire relève d’une forme qui réalise sa forme. Transcrire relève du diamant qui connaît son sillon. Je bâille une fois encore, est-ce bon signe ? On n’entre pas dans le sommeil comme on se jette en politique. Transcrire nécessite foi et persévérance, effacement et discrétion. On n’entre pas dans le sujet comme on entre dans un œuf à la coque. Transcrire est gratuit. Transcrire est ingrat. Transcrire nécessite de coller à l’exact réel. Nulle autre manœuvre que de faire jaillir les rêves déjà rêvés. Mais me direz-vous, comment puis-je être sûr de ce que j’avance ici. Eh bien c’est justement ce qui fait la différence entre la transcription et le souvenir, entre le spectateur et le commentateur, entre le saut et la perche. En art le doute est à la fois masse de l’objet et sa résistance. Transcrire c’est être en mesure de verser le cha dans l’aiguille et de se piquer au je : « Aïe » disent les Anglais. Transcrire c’est fuir cette époque qui a décimé les rêves, la forme, l’art, les mots, l’intelligence au profit de ce qui ne dort pas, de ce qui erre, de ce qui réfute l’art et la vie, la cycle et la durée et la gradation des couleurs. Transcrire c’est aller au-delà du souvenir, c’est-à-dire du paysage entraperçu à l’instant de l’éveil.

10.04.2014

06/12/2013

Dans l’effondrement, j’ai fait ce rêve, ce merveilleux rêve. Je découvrais des formules de guérison. Comment les découvrais-je ? J’étais l’Univers, pardi ! Ce n’est pas exact. J’étais là où tout se tait à la bordure de l’Univers. C’est très étrange comme état. Et dans le rêve je découvrais des formules de guérison. Chacune de ces formules, sitôt sue, avait le pouvoir de déplacer le corps et de le soigner. Ce n’était pas une expérience de décorporation du corps dans la pièce où le corps s’est endormi, mais l’expérience d’une décorporation du rêve dans le rêve lui-même. Irrésistible point d’appui, que la volonté consciente reconnaît. Il me semblait que toutes ces formules de guérison étaient des anges, chacune de ces phrases déplaçait l’être dans une localité particulière. Des phrases simples dont il ne me reste rien au réveil. Comment les cueillais-je ? Je ne sais pas. Les fruits invisibles. Tout le reste était tristesse. Les forêts brûlaient. Des éléphanteaux venaient encore se baignaient parmi les hommes.

Journal des rêves, Le sourire des anges

Le Masque blanc

Ce masque blanc, merveilleux. Je souhaiterais à quiconque de le porter. Non, pas une ride. Mon dieu, j’ai failli l’ôter. Ceux qui portent ce masque se reconnaissent. Les autres sont incapables d’en lire les plis. Évidemment que tout homme porte un masque, mais celui-ci est mien. J’imaginais que la littérature offrait un espace pour penser. Le masque penché sur elle, je n’ai pas même une larme à lui verser. Car la seule chose que je sache à présent est que des hommes se reconnaissent sans que rien ne leur ait été donné de se rencontrer. Oui, c’est aussi simple que ça. Il ne sert à rien de vouloir prolonger cet état, c’est cette rencontre qui compte. Si les masques nous sont donnés, alors haïssons-les. Mais ne pas s’accuser de ne pas être à la hauteur, nos  espoirs eux-mêmes nous donnent des vertiges. Alors soyons humble. Pourquoi porter un masque quand le monde nous a fait corps. Je supprime l’interrogation pour être sûr qu’aucun ne viendra s’y lover. Oui et pourquoi continuer à interroger ce masque ? Je l’ôte à présent afin de pouvoir pleurer en silence. Mon dieu, quelle horreur. Quelle monstruosité. Je dois le remettre car la chose me consume, me ronge de l’intérieur. Mais où aller ? Où aller. J’aurai dû faire comme chacun, mettre le masque de chacun. Celui-ci vous protège. Ses yeux sont fermés. Ils sont suspendus sur ma porte. Ils ont besoin d’être portés sans quoi leurs traits s’amollissent ou leur surface se craquèle. On peut les remettre ensuite, mais le cœur n’y est plus. Leurs traits, il suffit de faire un effort. Est-il possible aussi de porter ce visage fissuré, l’autre y est habitué. Mon dieu, quelle horreur. Il n’est que ce masque que je puisse porter. Ce masque blanc. Je sais que d’autres en ont d’autres avec un pouvoir plus grand, mais je n’envie pas le leur. Je les sais heureux, mais le mien me rend heureux. Seulement voilà, le mien n’a aucun pouvoir. Ce masque n’a aucun autre pouvoir que celui de m’aller, son pouvoir est immense. Seulement voilà, son pouvoir ne sert à rien. J’ai bien tenté d’ancrer quelque chose, car il me faut porter un autre masque, mais je ne les supporte pas. Cette allergie, cette irruption cutanée, des démangeaisons qui m’empêchent de trouver le sommeil. On m’a dit de faire des efforts. On m’a dit que ça passerait. On me l’a redit. C’est peut-être la matière qui fait ça. Certains fabriquent le leur. J’ai essayé mais je me suis coupé, j’ai failli perdre la vue. Alors je les porte, mais je ne les porte plus. Je ne peux plus. Mon masque pourtant a un grand pouvoir, mais son pouvoir n’est pas souhaité. Au contraire. Alors son seul pouvoir est de ne pas perdre le sien, je veux dire qu’il m’arrive de ne plus le porter, mais jamais il ne s’affaisse, jamais il ne se craquèle. Bien au contraire lorsque je le porte, quelque chose d’autre se produit parce que le monde et tous ces masques disparaissent.

Le Pouvoir de l’étrange

C’est un grand pouvoir qui autrefois me fut conféré. Dieu sait que je l’ai oublié : à me plaindre de la situation, des conditions matérielles, de ce qui ne va pas… Ou pis, à faire fausse route dans mon désir de le ressusciter ! J’en veux pour preuve mon voisin, un ami ingénieur ingénieux, qui habite l’immeuble en face du mien, un étage sous le mien. Un jour, il me héla de sa fenêtre en faisant de grands signes: « C’est ça ! Oui c’est ça ! » criait-il. Dès cet instant et pendant plusieurs semaines, je le vis déborder d’une intense activité, à couvrir ses murs de tracés et de plans, à assembler des tôles et des toiles, à faire chanter le marteau, le cliquet, à faire hurler sa visseuse, de jour comme de nuit, entre deux mouvements de scies musicales car ce voisin et ami est aussi mélomane. Puis, c’était un matin, il monta sur le rebord de sa fenêtre vêtu d’une drôle de combinaison. On eût dit une chauve-souris. Il semblait joyeux. Il ajusta ses lunettes en forme d’yeux de mouche, fit un signe de croix, et sauta. Dix-huit étages. Pour toujours je garderai le souvenir d’une tâche, en bas de l’immeuble, magnétisant un cercle avant que tout ne s’efface. Quand bien même son invention eût-elle volé, était-ce la bonne voie ? Oui, je le sais à présent. Nous avons ce pouvoir, quelle que soit la charge qu’il nous faille transporter. Le monde s’effondrerait — et mon immeuble s’affaisse chaque jour davantage —, les eaux recouvriraient-elles nos routes ou le vent ce que nos mains tracent dans le sable, tout me désigne que le tout est dans le mouvement d’une crise, à jamais perpétuel. Et tandis que les uns, dans l’inexorable chute, se disputent les hauteurs du ciel recouvrant ce qui s’effondre d’un nouvel effondrement, que d’autres s’activent à mettre sous verre les reliques de vie, j’observe parfois quelques créatures, ô combien étranges et mystérieuses, aller dans le ciel avec lenteur et sans ailes. Oui, le corps légèrement penché de l’avant, comme si leurs yeux étaient situés au-dessus de leurs tempes, tandis que les nôtres resteraient fermés. Profond secret que celui de ces êtres, pacifiques dans leur élan. Un jour, l’une d’elles se présenta devant ma fenêtre. Elle portait un enfant dans les bras. Avec effroi je constatai que mon immeuble s’était à ce point affaissé durant la nuit que mon étage était maintenant presqu’à la hauteur des devantures de magasins, et que les eaux ce matin recouvraient dangereusement la chaussée, faisant foncer les véhicules à tire d’ailes, en tous sens, dans une foule affolée. J’ouvris la fenêtre, le vacarme entra avec la créature. Elle se posa dans mon salon et déposa l’enfant. Elle semblait gênée de se présenter ainsi chez moi, mais finit par sortir une carte de sa poche qu’elle déplia sur la table. L’enfant, lui, me tira la manche en me demandant si je n’avais pas un « zus de fruits » à lui offrir. Je lui indiquai le réfrigérateur, et la créature me désigna un point sur la carte. Je compris qu’elle se rendait là mais qu’elle ne savait pas la manière exacte de s’y rendre. Alors nous retournâmes elle et moi devant la fenêtre, et malgré l’accablante agitation du dehors et la terrible hauteur des tours, je lui présentais la géographie du pays, le contour de ses côtes, les raccourcis qu’elle pourrait emprunter notamment ce bras de mer. Quoique nous n’échangeâmes aucune parole, la créature comprit mes explications, poussant des soupirs ébahis à mesure que la géographie se matérialisait en elle. Elle posa une main amicale sur mon épaule et l’enfant me remercia avec un délicieux sourire pour son zus. Je nettoyai le contour de ses lèvres. La créature reprit délicatement l’enfant dans ses bras et, inclinant la tête légèrement de l’avant, se remit en sustentation. Je rouvris la fenêtre et la vis repartir dans le ciel, lentement, avec l’enfant, sans rien savoir de leur destination.

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