Littérature, écriture

Auteur/autrice : rd (Page 50 of 53)

19.02.2016

Il est dur d’émettre un cri, à moins qu’il soit en accord. Mais en cas, il fait silence et offre au lieu son harmonie. Il est dur d’émettre un cri. Les fenêtres — peut-on appeler ça des fenêtres ? — sont en trompe-l’œil. Mais il est clair parfois qu’un rayon traverse. Un rayon de lumière. Cet état est presque magique, pourtant bien réel. Cet état est béni. Alors, la pensée s’apaise et rend grâce. Tout le reste du temps s’organise autour de la survie de ces lieux. Le mot survie peut paraître paradoxal, mais il arrive que le sol se dérobe, que le corps soit happé dans une mare d’obscurité — qui prend des formes inouïes, — qui prend l’être à ses racines. Aussi violent et douloureux soit-il, le phénomène se résorbe. Ma vie s’organise entre ces failles, de sorte à maintenir l’illusion de ces murs. On entend beaucoup crier, taper contre les pierres. Les pierres de ma cellule ont un mouvement mécanique, et selon des dispositions précises, elles s’ouvrent et se ferment. Je ne sais pas si mon passage en cet état de solitude, ou si les jours finissant par faire épaisseur, montrent la réalité telle qu’elle se déroule selon ses propres lois, ou si les lois de la corporalité s’ajoutent au réel et le transforme, mais ce que je vois lorsque je m’étends au-delà de ces murs m’offre une perspective sans volume. Tous les corps sont plats, par la régularité mécanique de leurs mouvements, et de leurs habitudes. Ce phénomène est aussi effrayant que sensé. La solitude, c’est peut-être l’absence de cri. Moi-même, je m’efforce au quotidien de maintenir la régularité des mécanismes de ma cellule. Et par la force des choses, acceptant leurs lois, je me transforme aussi. Personne n’est apte, je crois, à déterminer ex nihilo la configuration de l’endroit qui finit par l’habiter. On ne se rend pas vraiment compte avant que les éléments s’acheminent vers leur point d’équilibre. Peut-être la solitude contribue-t-elle à créer le volume, l’espace respirable en ce volume. Force est de constater qu’aucune parole n’est sortie de ces murs. Aujourd’hui, je rêve d’une solitude sans murs. Une solitude qui traverse les murs sans pour autant déplacer les pierres ni annihiler leur matière. Mais pour l’instant, je me contente de ces rais de lumière qui parfois entrent dans ma cellule. Ils valent tout l’or du monde, et beaucoup plus que ces ouvrages d’art, que tous ces ponts que les hommes élaborent, qui font que les solitudes et les non-solitudes se rencontrent.  

07.02.2016

Les corneilles – maîtres du ciel, vont, comme des fruits à coque, au-dessus des deux rangées d’arbres qui bordent l’allée, tandis que le ciel éclaire l’allée d’une lumière douce. Les lampadaires en son milieu sont toujours éteints. Des prunus découvrent leurs premières fleurs, des feuilles tendres éparses vêtent quelques broussailles, et des merles en différents lieux de l’allée émettent leurs cris, annonçant la précocité du printemps. Ici, et peut-être est-ce le fait de la lumière, la perspective se renverse de manière si radicale que la limite est plus immédiate que ce qui entoure ; et les grues de chantier, quel que soit leur nombre, et leurs directions, resteront étrangères à cela. Je dois convoquer ce qui fait naître ce mouvement intérieur, car les pensées suivent parfois des voies non familières. Et ce renversement si radical de perception, je crois bien que c’est l’extrême limite du monde, annonçant l’éclosion des couleurs et de la vie. Les lampadaires s’allument dans le soir. Les cris d’un enfant se mêlent aux mouvements de cloches zélés, et je crois bien avoir entraperçu deux vieux s’appuyant sur une canne, à présent que les corneilles regagnent les branches.

13.01.2016

Nul signe — et pourtant. Cela s’arrêterait ici. Mais il manque un rivage, un endroit où déposer l’étranger, un lieu où il puisse respirer — avec nous, — synchrone, à pleins poumons. Un lieu qui lui rappelle l’état et non la traversée. Un point fixant la mémoire, une partie du trésor quand ce dernier vient à manquer, que le soleil s’éloigne, et que la nuit nous enfonce plus en elle déployant ses pièges.  

12.01.2016

Quand on sait que la poésie est cet élan vers, et que nous nous échinons tous à vouloir le mettre sur toile dans le cadre de l’époque, je me prends soudainement à rêver à elle, visiteuse de ce pauvre musée, qui verrait nos croûtes. Qu’adviendrait-il ? Un soupir ? une larme ? une émotion artistique ? Quelque chose qui soit formé du goût de l’époque, et de nos souffrances ? Trouverait-elle, portant ses mains à sa joue, une plaie de la taille d’un pouce ? La toile aurait-elle une magie pour la rendre captive ? Nul ne sait, mais tout l’amour d’un coeur sincère ne vaut pas sa présence. 

02.01.2016

Savourer la vie par les petits détails. 
Rien, en fait.
Rien de beau ou de joyeux, 
rien qui élève l’âme
ni ne retranche à la tristesse.  
Rien, pas même un détail
ni la fougue amoureuse (mais là-dessus, devrais-je dire désir, comme quand on lorgne un beau et gros cul,  ou le pied joliment apprêté qu’on confondrait avec le haut du cornet,  sa crème glacée, ou sa pointe, croustillante).
Rien, rien de tout ça.  Pas même un détail ni le reste. Rien – o vieil impie.
Ni la légèreté. Rien. Mais un rien qui soit équitable où que le regard porte,  
comme un rocher au milieu de la rivière, sans eau, près du pont.

01.01.2016

Il ne se passera rien dans ma vie d’homme qui vaille d’être raconté. Mes nuits sont tristes, mes jours sont à pleurer. Sur la feuille, il n’est rien qui puisse être épinglé. J’ai hésité à ranger le matériel, à m’enfoncer dans le sommeil et le silence. C’est tout. Avec pour seule présence ces années passées et le silence. Et puis, je me suis dit que tous ces lecteurs avaient existé, mais qu’au fond, ils n’avaient jamais plus existé que ceux qui me font défaut aujourd’hui. Cependant, les fantômes déglingués existaient aujourd’hui, tout autant que ces lecteurs passés, et de fait, avaient pris le dessus dans mes jours sans vie, sans autre perspective que la présence de cet art qui me somme de me taire, et de contempler le désastre de ma vie vide. Finalement, celle vers quoi il me fallait tendre. Je contemplais néanmoins les lecteurs présents, non pas ceux vivaces du souvenir, mais celles et ceux qui restaient à mes côtés. Je vis mes ongles et je n’ai rien écrit, non pas par le désespoir d’un homme fatigué, mais par le fait de cette lumière, reconnaissable entre toutes, par laquelle peut advenir l’illusion d’un monde. 

Dieu est-il joueur, nouvelle fantastique

Dieu est-il joueur, une courte nouvelle, pour se distraire ou se divertir. Fantastique, of course. Le personnage du Diable occupe une place centrale dans quelques écrits. Cette nouvelle s’inscrit dans un autre cycle fantastique que les précédentes (qui chacune s’inscrit dans un autre cycle fantastique), que je qualifierais volontiers de grotesque. Mais pourquoi bouder son plaisir ? J’espère qu’elle divertira un ou deux lecteurs. Pour la lire, il suffit de cliquer sur le titre, ou ici,  ou de se rendre dans l’onglet Récits /Nouvelles.  Joyeux Noël, bonnes fêtes de fin d’année et bon repos. 

Du métier d’écrire

Le vide qui entoure l’écriture est inouï, et si j’écris ce soir, ce n’est pas tant pour partager mes états d’âme que pour fixer, une fois pour toute, l’image qui se révèle. Je suis dans la chambre noir, et le matériel est prêt. Bains de révélation, fil tendu, pinces à linge, la porte est close. L’imaginaire est censé se taire lorsque l’obscurité se fait. La vérité tient dans cette phrase : l’écrivain est seul. Il ne s’agit pas de cette solitude rêvée que les gens de goût apprécient, ce mélange de silence, de temps et donc d’espérance, à laquelle s’accouplent les bienfaits du regard, d’une nature prête à épouser le corps, et d’un corps prêt à l’accueillir, à cheminer avec elle dans l’univers des signes, cependant chiffré, qui s’offre à lui, comme fleur qui éclot dans la multitude, qui offre sa durée. Non, cette solitude-là est bénie. C’est une solitude plus profonde, plus obscure, qui se présente : le caractère vain de l’acte. Non celui d’écrire, aussi heureux que la fabrication d’un feu, d’une journée assis près du feu à confectionner le tricot de l’enfant, mais celui qui grandit, cette illusion, le fantasme qu’un être de chair se présenterait, que cette apparition soudaine soulagerait bien des maux, des peines, dont celui de remettre l’objet de notre attention à l’enfant chéri, ou d’accroître, par un quelconque moyen, la possibilité du mouvement, comme si quelque chose d’inouï allait se produire, et nous écarter, un temps, du tombeau. Car en vérité, par un coup du sort dont il m’est difficile de découvrir les causes, naturelles, artificielles, rationnelles, de saisir le mécanisme caché, l’écrivain finit par se retrouver seul, malgré lui, devant son tombeau. Et derrière l’écrivain, il y a l’homme. Je me dois d’éclairer la pensée, qui somme toute paraît peu confortable dans la vision prochaine. Ce tombeau est un bac ouvert, de deux mètres par son quart, profond, aux dimensions du corps, qui s’ouvre à quelque distance du bureau, au moment l’acte, à mesure de sa progression. C’est un lent mécanisme qui échappe à la concentration, tant la concentration est pleine, et dont l’effet devient perceptible à mesure que le charme du travail se dissipe. Et de se retrouver seul en fin de compte, nez à nez, devant cette horreur. Et c’est là que l’angoisse, proportionnelle à l’acte réalisé, saisit l’hère. On a beau crier devant cette horreur, on est seul. J’aurai beau me révolter, le tombeau est ouvert. Et tous les êtres imaginaires que vous avez côtoyés, tous les êtres vous ayant accompagné, ne vous sont d’aucun secours. C’est le pouvoir des fables.

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