Littérature, écriture

Auteur/autrice : rd (Page 36 of 53)

26.05.2019

Je vais plus vite à pied que la file des voitures,  
Mais,  je préfère ralentir, — jouer : avec la lumière : jouer avec le monde.
Franchement, je n’avais pas vu tout cet or à portée de richesse,  
maintenant que le monde parle, qu’il s’ouvre comme fleur,
je vais devoir ralentir — encore et en corps. 
Je tourne, je tourne et je descends l’avenue du Maine,
Je préfère rouler plutôt que de marcher ;   
Aurais-je un jour la grâce et la sagesse d’un arbre ?

 

25.05.2019

Quand je m’arrête, wouaoh 
Tout l’espace retrouve sa clarté
Tout respire : et pas que la couleur des géraniums, rouges, à leur balcon,
même le gris sous les pas du pigeon boiteux. 
D’où vient cette impression de redécouvrir pour la première fois ? 
Toutes mes pensées m’ont quitté
J’avais peut-être les paupières trop ouvertes, 
Il suffit d’une pour que les autres suivent, toutes s’envolent.
“Je vois” “je vois”, clame-t-il rue Delambre. 
L’espace et le temps ici sont magnifiques,  
ainsi que les personnes qui passent. 
Tiens, voici un pigeon qui s’est posé sur le balcon d’en face. 
Me souviendrai-je de ce moment ?  
ou le poème ne sera-t-il que le souvenir lointain, mort ? 
Je croise les pattes. 

21.05.2019

Je prends mon risque,
Je suis dans la poésie
C’est plus casse-gueule que le langage
(Certains se vêtent avec élégance,
d’autres prennent ce risque)
C’est plus casse-gueule que le langage :  
Le vertige le mot, le mot le vertige ; 
Je prends ce risque au quotidien
je suis assis dans le RER ;
C’est comme un guépard assis dans un RER 
Vous le trouvez assorti au tissu
Mais ça s’arrête là
C’est pareil pour le siège. 

20.05.2019

Dehors, les sirènes hurlent. Je me souviens de ce même instant, il y a dix ou douze ans. Mais, il y a dix ou douze ans, mon lit était de l’autre côté de la pièce. Et ce n’est pas les sirènes qu’on écoutait, mais des manifestants. Il y avait cette idée de mouvement dans les voix des sirènes comme dans celle des manifestants. Je me souviens qu’à l’époque mes préoccupations étaient autres, et concernaient la durée d’un haïku et la durée d’une vie. Il reste entre les plis du sol des morceaux de papier qui quand on les ouvre sont des morceaux de rêves, des préfabriqués, en deçà desquels s’ajoute une autre vie, à l’identique, plus décontractée. Je suis dans la même pièce, à dix années d’écart, ou douze. Dehors les sirènes n’arrêtent pas de hurler. Je pose un oeil sur la branche du houx. 

18.05.2019

Ancré jusqu’au fond, sans autre choix. Les feuilles autour du parc sont en effet blanches. Et dedans, si je fouille vraiment, ce sont des prospectus. Même la boîte à livres est pleine de prospectus. Les uns emportent les prospectus que les autres ont rangés dans la boîte à livres plutôt que dans la poubelle. Je suis dedans. Je n’ai pas d’autres choix. Je n’ai pas l’espace pour écrire un poème. Au contraire, je m’enracine. Le parc semble être tombé de ces pages suspendues — nettement blanches. Les lettres ont disparu. Il reste un parc. Il reste un livre blanc, il reste le monde. Je m’enracine et je croîs. Je ne peux rien dire.  Seule ma forme serait langage.

L’homme pressé

L’homme marche pressé. Pressé par quoi ? Est-il amoureux ? Ça ne se voit pas. Ni sur son visage ni sur son cœur. Il est pressé. Il tient une vitre. Ses lèvres sont pressées sur la vitre, dirait-on ; ainsi que son corps, poussé par une force non visible, cependant intacte. Pressé par quelle demeure ? Quels fils autour de lui seraient tendus, pour le faire voltiger ? Pourtant cet homme ne se rend pas au travail. Il n’a pas non plus de pédigrée, ça se voit. Il n’est ni chirurgien-dentiste, ni fleuriste (les bouquets, ça presse). Par quoi cet homme serait-il pressé, préoccupé ? lui qui semble éloigné de tous soucis, de toutes contraintes (il marche vide). Plus il se presse, plus son visage est écrasé dans la vitre qu’il tient dans ses mains. On a mal pour lui. Par quel mystère cet écrasement procède-t-il ? Comme ce monsieur s’épuise et s’agace à vouloir s’écraser la joue, le nez, la langue, les dents dans la vitre, il fait de drôles de mouvements, de côté avec ses bras, de côté avec ses jambes, comme s’il tentait de contourner l’obstacle, ou de forcer cette vitre, qu’il tient fermement dans ses mains. J’ai mal pour lui. J’accours. Il s’enfuit. Je m’approche. Quoi, me répond-il. Je reprends. Mais enfin, me répond-il ! que me voulez-vous, fait-il, en ôtant ses bouchons d’oreille. C’est pas bientôt fini, hurle-t-il. J’en ai mal aux tympans. Vous n’entendez pas ? Il pose sa vitre. Vous n’entendez pas comme le monde autour de nous est calme ? — totalement silencieux. Moi, ce n’est pas que je fais la sourde oreille, mais j’ai mal aux oreilles. Je réponds oui, sans trop m’entendre. Malheureux, dit-il, vous n’entendez rien ! Sinon ah, sinon ah, vous brilleriez d’un autre éclat, d’un autre éclat dans vos yeux : ça se verrait. Et vos poumons se gonfleraient de joie, vous seriez comme un crapaud boldèque (c’est pour l’image, fait-il en roulant des yeux). Oui ! Et de la poussière jaillirait de vos doigts, de la poussière d’or, fait-il en levant les mains, en agitant les doigts. Ses ongles étaient tout sales. Je jardine, dit-il. Je fais pousser des patates, dit-il, d’un clin d’œil si appuyé que ses deux yeux se fermaient ensemble. Je compris que c’était peut-être sa manière légère à lui de battre les paupières. À présent j’y vais. J’y vais, j’ai fort à faire, dit-il en sus.  Ce « fort à faire » me fit l’effet d’une bouteille. A la mer. Avec ses remous. Je fus pris d’un gros chagrin. Allons. Ses yeux s’ouvraient dans le loin. Il lécha ses mains, me les serra, remis son bouchon d’oreille, leva sa vitre et la porta à son reflet (vérifia les microrayures, souffla, souffla bien) et, furieusement s’écrasa le visage sa bouche son nez dessus et se remis en route, plus pressé que jamais.  

3 mai 2019 

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