Les cris des corneilles
Quel est l’âge de la forêt
Les cris des corneilles
Littérature, écriture
Les cris des corneilles
Quel est l’âge de la forêt
Les cris des corneilles
J’avais perdu le sens premier des mots. C’est peut-être pour ça que je restais silencieux au seuil de leur habitat, comme un étranger resté sur le seuil éclairé d’un commerce de quartier, nocturne et animé. Un étranger dans une position silencieuse, au point de devenir soi un objet nomade et nommable. Comme un lampadaire. Ou comme une cuillère. Comme un banc vide. Ou comme un banc. Ou comme un clochard. Ou comme un attaché-case. Comme une veste. Ou un comme un ministre. Ou comme un débit dans le caniveau. Mais jamais un homme. Jusqu’à oublier la façon de “le” nommer. Ou de “l”‘écrire. Mais un mot. Un unique mot est apparu. Un mot imprimé sur une page. Je n’aurais jamais pensé embrasser une étoile. Ou découvrir une quelconque chute. Mais ce mot m’est apparu. Dans une bouche incapable de le porter Au-delà des rêves Au-delà des lèvres.
D’abord un voile
Puis j’ai vu qu’elle se levait
En avant lente
Comment habiter l’espace ?
Tant de fils
Tant de fils autour de soi
Et cet espace autour, inaccessible
Autour, autour de quoi
Quoi quoi, quoi quoi le corps cocon
Et cet espace autour, inaccessible
Autour, autour de quoi
Quoi quoi le corps cocon
Tant de fils autour de soi
Tant de fils, et cet espace autour, autour de soi (e)
Est-il un silence qui le contienne ?
Dans ma vie, je n’ai pas de place ni pour un livre ni pour un poème.
Le silence s’arrache au prix d’un grand silence
Je ( ) regarde mon espace, restreint, et ma bibliothèque
(Tous les livres) s’entassent comme (des) chemises (, ) froissées, jetées dans un bac
Le grand ( ) jour n’est point venu : le Pierrot me tourne le dos
Je vis dans une feuille, volante.
Tandis que le corps creuse ses ( ) galeries partout.
( ) L’électricité marche encore
La plante est vigoureuse.
Je prends mon dictaphone : il pleut. Il pleut. Il pleut. Il pleut des morceaux. Il pleut des morceaux. Les taches. Les taches. Même sur le mur. Même sur les murs. il pleut. Il pleut des morceaux. Il pleut. Il pleut. S’il fallait les rassembler, ce serait compliqué à présent. Comme un sablier. Mais il pleut. La pluie fait disparaître le plafond. Les secondes s’enfuient. On pourrait sentir le sable sous nos pieds tant elles sont nombreuses. C’est comme perdre un bras, lentement sous nos yeux. Il pleut, il pleut. Le monde est chargé de valeur et d’un éclat. Il pleut, il pleut. Pourquoi certains continuent-ils à coller des posters sur les murs ? Que verrait-on encore ? Quel lien resterait-il, tel que le vivant nous le connaissons mort, tel que nous nous sentons seuls. Les grosses gouttes transforment les eaux en rivière. Et chaque lettre en courbe et chaque courbe en tache. La pluie se désagrège à mesure que le mot lui-même.
La lune dans les tilleuls
Et si j’agitais la lune
Combien de pièces d’or
Chaque fois que je prends le métro,
je me rappelle ô combien j’ai la chance d’être joyeux
mais, peut-être que tous ces gens autour de moi portent-ils des masques de fête ?
que les regards se concentrent à ne rien dévoiler de la fête ?
qu’ils font mine de ne pas voir mon sourire, mes clins d’œil,
trouvant plein de prétextes — toux, rictus, écrire un message, rictus — oh oh
finalement le métro est une grande fête
et nous attendons l’arrivée de la Nuit
pour nous dévêtir.
Nous sommes déjà morts, mais nous ne le savons pas. Ou l’avons oublié. Ou peut-être les gens taisent ou le savent ou l’ignorent. Peut-être serait-il difficile de mettre un mot dessus, dessus quoi. Dessus quoi hésite. D’autres sont ici, sans se souvenir. Nous sommes sur la ligne de bus 68. D’autres sont si concentrés sur la lecture de leur livre qu’ils deviennent un fil tendu entre les mondes. Je marche dessus en équilibre. D’autres déroulent le fil de leurs pensées et gare au freinage du bus. Beaucoup se taisent et certains réussissent à faire sourire un mort.
Dans la pluie d’octobre
Les tilleuls se sont vêtus
D’un peu plus d’or
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