Littérature, écriture

Auteur/autrice : rd (Page 26 of 53)

Les statues dévorantes

Vos créations n’intéresseront personne. Le monde a besoin de créatures, non de création. La création est acquise pour le monde. Le monde a besoin de créatures pour être peuplé. Cela importe peu de savoir qui vous êtes, ce que vous fûtes, ce que vous fîtes. Un monde sans créatures ne peut pas être peuplé, et un monde sans peuplement ne peut pas être. Il en devient vide, constitue une absence, un non sens. Cela le monde l’a compris dès l’origine et c’est pourquoi il se hâte. Il se hâte d’être peuplé. La vie est courte et le monde court, il faut se dépêcher, répondre à la créature qui réside en soi, la réveiller, la délivrer. L’absence forge la forme. Tôt ou tard il faut se dépêcher, tôt ou tard, on finit par la reconnaître. La créature est née, elle doit se reformer l’instant d’après sans quoi elle disparaît, et le monde se dépeuple. Oui, pareil au mouvement de balancier. Le temps s’étire et se rétracte, s’étire et se rétracte, et l’aiguille de la seconde doit occuper sa place, sa position suivante, sur le cadran. C’est harassant d’être une créature. C’est un travail à plein temps, que d’autres exercent pour vous. Il est important d’être là au bon moment. Peu importe ce qui s’ensuit. Tout converge en la créature pour animer son visage, sa bouche, son corps, ses lèvres. Peu importe ce qu’elle dit. On ne réussit pas à tous les coups, mais le premier coup est le bon. Il ne faut jamais se retourner, pas plus que regarder l’avenir. Vous seriez transformé en statue de sel. Quant à ce qui advient, ce n’est qu’absence, le monde qu’il faut repeupler. Le dépeuplement donne le vertige. Le dépeuplement n’est pas pensable en terme de pensée. Il ne ferait que survenir des haussements d’épaules, un sourire poli entre deux silences. Car cela n’aurait aucun sens, un monde avec des créatures qui ne signifient rien. Cela n’aurait aucun sens, pas même une direction. Or le monde a besoin de sens, le monde a besoin de direction. C’est pourquoi la créature s’anime, mais elle ne parle pas. Elle est une forme et cela suffit, elle donne tout son sens, sa forme parle pour elle. Elle nous économise le besoin de la penser. Elle nous laisse même le choix de la contempler. Cependant, si la créature ne se contemple plus, elle se fissure se craquèle et tout s’effondre. A quoi bon contempler sa poussière, ou son souvenir, quand d’autres créatures se présentent devant nous. Elles ont ce pouvoir, lorsqu’on les touche, de nous transmettre le leur. On voit le monde à travers leurs yeux. Peu importe ce qu’il est. Il est. Poser la question de savoir qui incarne cette créature est un non sens absolu. Ce qu’elle incarne est. Parfois il arrive qu’une créature surgisse alors que nous ne l’avions pas vue. Cela rassure, cela nous soulage de bien des maux, de savoir que des créatures coexistent sans que nous les voyions, que le monde pourrait être vide, qu’il n’en est rien en vérité. Cela consolide notre foi en ce que le monde ne sera jamais dépeuplé. Parfois des créatures nous apparaissent, alors qu’elles se sont éteintes. Elles sont mortes sans avoir fermer les yeux, dit-on. Cela leur donne un caractère plus étrange encore. Ce genre de créatures se tait plus qu’aucune autre. Elle n’en est que plus magnifiée, comme si sa forme était trace unique, non négociable en sa direction. Son absence de mouvement excitent le nôtre plus encore. Mais peut-être que l’histoire que je raconte vous ennuie. Si c’est le cas allez vous en, je n’ai pas la force de bouger de ce banc. Je suis saoul comme un cochon et je ne peux pas me taire. Je ne sais pas qui nous sommes et si le monde a besoin d’être peuplé. Je sais simplement cette chose en levant la tête, en regardant les nuages, et leur trace dans le ciel… Le monde ne regarde rien. Il est vide de notre absence et de nos pensées, et pourtant il n’a pas la pudeur de cacher sa beauté. Mais à cet instant, il est trop tard. C’est ce que je crois. Pardon, écartez-vous, je vais vomir. Pardon, personne ne peut entendre mon désespoir. Le monde a besoin d’être nommé sans quoi il ne peut se reconnaitre. Le monde ne comprend pas une chose qui ne le nomme pas. Le monde ne comprend pas l’espace vide qui le détoure. Cette chose devient sa frayeur, et même son ressentiment, alors qu’aucune créature, alors qu’aucun créateur, n’a réponse à ce non sens : le créateur ne peut pas être mort. Il doit être une créature qui ne dit pas son nom. Quelque chose doit se produire. Une trace, quelle qu’elle soit, une étincelle. Toute créature même disparue émet une ombre. Une ombre à partir de laquelle il est possible de repeupler le monde. Oui tout comme les nuages. Tous les nuages ont une forme.

18.07.2013

07.03.2021

Et voilà Nous petit moi nulle part. Alors qu’il s’agit du banc Du jardin des plantes. Je ne comprends pas ce que le corbeau pense. Je ne saisis pas ce que l’arbre ressent S’il ressent ; par Et les humains qui traversent mon champ de vision à quoi pensent-il ? Comment le saurais-je ? Mais alors avec qui avec quoi communier ? Il y a bien un écart immense entre ce qui m’entoure et ce que je perçois au quotidien. Ou pour être plus logique, et raisonnable, il existe un écart inouï entre ce que je considère être extérieur, et cette révélation immédiate, asymptotique, dans la saisie d’un monde brutal et merveilleux, comme si les yeux étaient plusieurs fois lavés d’un regard perclus. Merde alors ! Mais oui. Et toujours par surprise! L’alerte son intensité vient à la fois dans la saisie du monde et l’intensité d’écart qui le sépare du monde. La difficulté de maintien de l’état réside dans l’intensité de la perception et l’intensité même de l’effort de son maintien qui finit par lâcher l’objet comme un ressort trop tendu qui perdrait ses propriétés de ressort. Merde alors. Mais oui, c’est vrai. Et toujours par surprise ! Il suffit de regarder. Merde alors. C’est toujours le même merveillement. Et, la question serait Quoi Quoi faire de ce monde, neuf, autre, permanent, d’un degré autre. Mais le paon, ou toute chose du merveilleux, ou de la vie, aurait son mot à dire. 

06.03.2021

Pourquoi les humains
Sont-ils plus assis sur les bancs au soleil
que ceux à l’ombre ?
Et, pourquoi les moineaux ont-ils une appétence
à rendre sonores les haies et les buissons,
– de charmes, de laurier-tin et de troènes –,
plutôt que les arbres que les mésanges préfèrent.
Pourquoi existe-t-il des fleurs, des saisons et des arbres, sur une planète quelque part,
Et des arbres qui préfèrent donner leurs fleurs au printemps plutôt qu’à l’hiver?
(Et pourquoi notre langue ne sait-elle pas conjuguer le verbe éclore ?)
Pourquoi la vie a-t-elle ses préférences de lumière, de formes, et de couleurs ?
Et pourquoi un homme s’est-il arrêté devant le square Paul-Painlevé
pour regarder tout ceci. 

27.02.2021

Le ciel ne sait rien des oiseaux
ni du ciel,
ni de nos joies ni de nos peines.
Les hommes attendent sous l’écran
avec leurs yeux grands ouverts comme bec
l’horaire du train ;
Tandis que les pigeons
sont en amour pour une fois.
Le ciel ne sait rien du ciel,
ni de nos joies ni de nos peines.
Mais le soleil sait retrouver son fils
Et tous les êtres de lumière.

 

22.02.2021

Sors ! Sors du sort.

Sors du sort pour être de nouveau
le passager
qui contemple la mer,

(l’amer a de beaux jours).

Sort.
Sors encore : beaucoup plus loin ! plus haut.
Sois le phare, ou le point, qui permet au promeneur
de toucher le rivage.

Sortilège. Alors que tout est là ! déjà.
O merveille

Sors. Sors encore,
encore et en corps,

Car qui tiendrait la seconde suspendue, une fois suspendue ?
le bâton vertical, une fois vertical ?
et l’oeil oeil qui se referme toujours,

Sor encor.

 

05.02.2021

Ne pas avoir l’habitude des chemins déjà arpentés,
Même si nous les arpentons ce jour encore ;
Quoiqu’il ne s’agisse pas non plus de la première fois
Quand ce chemin fut arpenté
Car la première fois il n’était pas chemin.
Au contraire, ralentir ;
Et se sentir prêt, une fois encore, à rencontrer. 
Il s’agirait ici du bain des moineaux,
Dans un arbre voisin, à l’angle des rues Camille Flammarion et Daumesnil.
Mais cette simple perspective déploie un arbre géant, 
Avec des milliers de chemins à arpenter,
Et l’oeil presque neuf, qui reçoit tout pour la première fois. 

 

05.02.2021

Je suis de l’autre côté
Du côté où les sièges n’ont ni vue ni lumière
Là où les yeux sont enrubannés de pensées
étrangères de phrases mauvaises,
Là où il n’est ni jour ni lumière :
Là où le monde est plat comme un linge mortuaire, plié
repassé, sur l’étagère, avec une odeur de drap qui n’aurait pas d’odeur.
Ce lieu ressemble à la mort, au temps sans heurt,
Non au tombeau qui s’est entrebâillé, au mystère ouvert,
mais à la mort Elle-même, sans direction, sans inertie ; les mouches en moins.
Un lieu où personne ne viendrait vous trouver
Un lieu où personne n’irait vous chercher,
Le lieu où la mémoire ne se souviendrait pas
Si quelque chose en soi n’était irrémédiablement pas
attiré par la lumière.

 

28.01.2021

Comprendre le monde :
Être du monde.
Les oiseaux nomment-ils ?
Ont-ils besoin de nommer la branche,
Ou vivent-ils comme l’homme
éloigné de l’oiseau et du monde.
Les oiseaux ont-ils besoin de nommer le ciel ?
Ou vivent-ils comme l’enfant,
Comme l’enfant qui voit,
dans une joie certaine, néanmoins confuse, du monde. 
Qu’il est long d’être un homme. 
Mais un jour il vole.

 

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