Raphaël Dormoy

Littérature, écriture

01.05.2025

Étrange, très étrange. J’ose à peine tourner la page, mais je suis bien incapable de tourner les talons. Il faut un sacré talent pour tenir ainsi, en haleine — quoique rien ne se passe, que les moutons paissent, et passent. Étrange, très étrange. Je me tiens sur la bordure. Tout comme mon lecteur, je regarde. Et que voyons-nous ? Une histoire sans queue ni tête néanmoins sue depuis longtemps par tous les pores. Des moutons, des moutons rebondissants. En veux-tu, en voilà. Des moutons, épais comme des moutons, qu’il est difficile de déloger de leur statut de mouton. Et d’ailleurs le mot n’est-il pas lui-même un mouton laineux, débarrassé de son trop plein de voyelles et de consommes ? Ainsi, nous nous trouvons malgré nous sur une aire de moutons, avec un chien, un border collie qui sorti de sa niche nous tourne autour. Ce chien nous tourne autour encore. Il suffit d’enjamber délicatement. Je n’avais jamais envisagé à quel point les mots épousaient la courbe molletonné du monde. Un bon roman mettrait-il un m en chaque mot ? Mais là n’est pas le propos vous comprendrez, en plus qu’il va être difficile de semer le chien, maintenant qu’il nous suit, qu’il ne nous lâche pas des yeux.

 

02.06.2025

Pierre écrase peau
Sommeil long
Tous les corps sont figés dans l’éboulis des jours
La mort délivrerait
Herbes grasses le long de la voie
le long des rails, ligne luisante
Poissons ferrés ou suffoquant le long le long
(Tout le monde rêvent d’aquarium)
La virgule frétille.

 

05.05.2025

Je quitte ma lecture. Je ne peux l’empêcher. Assis dans le RER je lève les yeux. Je les ferme. Je lève les yeux. Le dire ne suffit pas. Mais le vertige est grand. Jubilatoire. J’en ai mal aux dents. Pourquoi oublierai-je ? Est-il une communauté du dire ? Ou moins, ou mieux. Une communion. Chaque mot serait flamme. Comment arrive-t-on ici ? Entre deux moments, le lieu luit, n’a pas changé. Il est une évidence.

 

26.05.2025

C’est vrai,
J’avais oublié.
J’avais oublié.
La ponctuation à son importance.
Cela se joue ici, entre la lettre et la virgule, entre l’espace et la lettre, entre l’espace et le signe ; (peu loin) 
Entre la représentation de l’endroit et l’endroit, entre l’endroit et sa représentation ; aux marges de la trace, dans la trace elle-même : quand la boue creuse la flaque et la flaque le ciel.
Non que le ciel soit sous les yeux, mais c’est tout comme, sous la paupière (fermée), quand le nulle part apparait, malgré malgré.

 

20.04.2025

Le mot dit une reconnaissance,
Il ne désigne pas l’objet
mais la reconnaissance,
Qu’a-t-il reconnu qui vaille d’être nommé :
La glycine en fleurs
La jambe jupée
Qu’a-t-il reconnu ?

 

04.02.2025

Mon passé est une boule de graisse, au vent 
Que les oiseaux de mémoire picorent
Infatigables
Dans le froid, 
Tout se tait
À part la mort avec son goitre  
Mais l’oiseau lui pépie 
Vois ces phrases 
Ce sont les siennes ;
Ils pépient.

 

09.04.2025

Entre ici et ici, est-il un vertige calme ?
J’aimerais
Mais le paillasson n’est pas vierge
Et si je l’ôte ?
L’espérance serait que la salle d’attente soit en réalité jetée
Jetée d’un ancien port
Et qu’à mes pieds sur le lino
D’autres rêves, tels des poissons, daignent s’approcher.

 

26.01.2025

Le néant qui se manifeste à mesure. Paradoxalement, la disparition amène la beauté toute réelle. Pourrait-on dire qu’un mort est beau ? Un mort est froid. Le baiser que vous portez au front de l’être aimé saisit vos lèvres, vous glace tout entier si vous restez plus longtemps. Nous pourrions dire qu’un mort est beau en ce sens qu’il n’est pas mort, pour celui ou celle que nous aimons, que sa lumière subsiste, comme nous sommes aussi petite lumière parmi les vivants que nous reconnaissons. Non, je ne parle pas de cette disparition radicale, qui saisit au bord du : précipice/précipité, qui marque une rupture. Je parle je pars de cette agrégation de temps qui passe, qui dessaisit l’être de sa chair, de sa vitalité ; de celui qui fait l’expérience de sa, de sa perte ; eh bien, celles et ceux qui lui ressemblent, mais le précèdent, eh bien ceux-là pourtant lui paraissent, malgré la disparition de l’image, malgré l’effondrement de matière, et la perte d’usage, et bien ceux-là portent pour qui sait le reconnaître, ceux-là portent les gestes d’une innocence première, d’un visage  sorti du temps, non pas figé par celui-ci dans un souvenir lointain, mais d’un visage ayant gagné la porte du temps, qui vous regarde là où vous êtes, à vous battre contre la vague, contre l’embrun, contre la perte. Alors oui, les flots seront souventefois plus durs, mais là où nous allons, vers le point ou la constellation : quelle importance ?

 

10.01.2025

Tout ce qui va de soi ; ce qui rassure. Comme le langage.
Comme le lent gage de la personne qui, soufflant un peu, avant de s’asseoir, décroche son ; d’une manière naturelle, vieille de mille siècles ; décroche son : sac de l’épaule ; sa lanière ; l’ôte du pouce ; avant de, d’une manière naturelle qui dit : je peux ôter mon sac et m’asseoir ; d’un geste su ; je peux ôter mon sac de l’épaule et m’asseoir ; dans le siège, dans le siècle ; m’y balancer, souffler un peu, fermer les yeux.
Tout ce qui va de soi, et qui rassure. Dans le TER, les voyageurs sont assis, à lire, tousser, à pianoter sur le portable. Cela ne va pas de soi de se retrouver là ; cela peut être drôle. Mais la terreur ? Le vertige qui sépare la représentation, de l’endroit.
D’où la nécessité de s’occuper, de manger des chips, de frapper son gamin avec ses paroles, de scroller sans cesse. C’est dur.
Alors cette lanière que le voyageur peut : ôter du pouce, dans un geste : convenu, cette lanière que le voyageur peut quitter ; cette lanière qui rassure.
Tout ce qui va de soi et qui rassure. Jusqu’à la corporalité elle-même, à double tranchant : monstrueuse et nécessaire.
Comme la question : irréductible.

 

02.02.2025

Le réel aussi est un instrument
Les mots, tout sonne faux
Quelle couleur choisissons-nous ?
Quel moment fait-on vibrer ?
A-t-on exploré le langage
Sait-on ses propriétés, Toutes
Ses combinaisons nouvelles.
Sait-on voir ?

 

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