Tenir une histoire plutôt qu’une autre. Mais tenir celle-ci. Faire la phrase. Faire le récit. Ce pourrait être un tout autre récit. Mais non. C’est celui-ci, vous le savez. Et pas autrement. Il pourrait être Un autre. Mais c’est celui-ci. Il faut construire la phrase. Tenir le motif. Et le motif nous tient. Alors il faut poser la cuisine. Construire le lit. Construire la suivante qui vérifie la dernière. C’est l’art du poème, c’est l’art de la vie. Pessoa disait que le poème est l’art du mensonge. Sur quelle dialectique la vie se construit-elle ? Au moins elles se tiennent, la phrase et la vie. Main dans la main. Poussière de points. Phrases qui grelotent. Que resterait-il ? Les enfants qui ont vu les danseurs imitent leur liberté sur la pelouse. Parfois le pas arrive à sortir du récit. Et c’est alors : quelle liberté valons-nous ? Grossir autour d’un point ? Raconter la fiction ? Nous faisons comme nous pouvons. La surface qui accueille le récit n’est jamais plane. Et quoi faire si la surface s’arrêtait abruptement ? Quelle phrase saurait dire ? Nous perdrions le récit. Un lacet coupé en deux. Et la pépite qu’on pensait tenir dans les mains serait oxydée, un déchet sur la chaussée, emportée dans les eaux du matin. La phrase emprunte au récit de l’enfant. Mais le récit de l’enfant est son corps. J’observe le sillon. Nous sommes obligés de construire une contre histoire. Le récit est une contre histoire. Mais c’est une histoire des marges. Je me rends compte qu’il n’y a pas de récit commun. Et cette histoire des marges est notre histoire. En vérité, il faut nager, marcher, surnager ; entre des morceaux de phrases, sur des morceaux de phrase, que nous portons d’un bout à l’autre de l’histoire, avec l’histoire qu’elle ne se dissemble pas trop. L’histoire, ou l’espoir. Mais pas la bouteille. Ou alors, franchement la poésie. Certains se rompent. Certains résident hors du récit. Certains vivent la même phrase du soir au matin. Il faut construire la contre histoire si on ne veut pas disparaître. Qui nous enlèverait la poutre dans l’œil ? Franchement, ça fait mal. Jusqu’à quand le récit tient-il ? Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de place ? Jusqu’au bout ? Certains meurent dans des positions saugrenues. Parfois le rire éclaterait, mais il est trop tard. On dirait que l’œil va éternuer. Certains chercheraient une issue géographique dans le lieu, alors que c’est le lieu qu’il faudrait changer. Parfois nous avons juste le mauvais lieu, la mauvaise histoire, le mauvais corps. Et pas un chant pour nous porter. Mais il n’y a pas de mauvais récit. Il y a juste le mauvais motif. Construire, construire encore. On deviendrait l’araignée prise au piège de son fil, la queue sans lézard. On devient le corps marqué par sa propre histoire. Avec, ou sans mouvement. Avec et sans : marques. Ils sont partis, mais leur mémoire reste. Quand ils sont là, il faut scruter l’âme au-dessus. Mais tout ceci n’est pas ma propre histoire bien sûr. Et si tu m’amènes la tienne, je la prendrai. J’en ferai quelque chose. Ou elle m’emportera elle aussi, parmi ses planches mal habiles, ses morceaux de phrases, parce que ce ne sont pas mes mots. Il n’y a qu’une contre histoire qui puisse nous sauver. Il n’est qu’une contre histoire qui puisse nous aimer.

21.03.2022

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