la lune au-dessus
des pins parasols
boivent le soleil
Littérature, écriture
Monde contraint, les murs se sont refermés. Mais j’ai ma chambre, dans laquelle tient tout. Sauf l’espérance. L’espérance est un oiseau – volage allais-je dire, et la fenêtre est toujours ouverte ici, et ma chambre est toujours prête à l’accueillir. Je n’écris plus depuis de nombreux mois. Le monde s’est refermé et j’ai ma chambre. Bien sûr cette chambre pourrait disparaître. Il suffit d’un accident, minime. Comme glisser, pour que le mur se fissure. Mais l’espérance nous pointerait, derrière la fissure, la mer. Et puis force est de constater que tout va bien, que la santé est bonne, que je ne manque de rien ; même si l’avenir n’est pas acquis, ne l’est jamais. Ceci, cette chambre, doit être mis quelque part, au fond de mon cœur. Chaque jour que je sors, que chacune de mes adresses se souvienne de ma chance. Car cette chambre contient beaucoup. Tout le monde m’attend ici. Et si comme cela m’arrive depuis quelques mois, même si j’oublie l’espérance, il faudrait que j’aie au fond de mon cœur son souvenir ou sa part vivante. Mais comment faire ? Je retrouve parfois quelques poèmes. Mais comment se souvenir du feu qui n’éclaire pas ? Comment se souvenir de la flamme qui ne crépite pas ? J’ai cette chance, j’ai cette chambre. C’est un là au fond de soi. C’est peut-être avec un peu d’entraînement qu’elle pourrait m’accompagner au quotidien, à mes rendez-vous, et lors de mes rendez-vous manqués.
Effondrement du corps. Effondrement du texte. Que faire d’une telle circonvolution ? Comment agir ? comment créer ? Tout, ici ou bas, mange le sens, le dévore. Quelle part alors garder ? Quelle part alors garder au fond de soi ? Je me souviens d’une flamme, d’une petite lumière sans âge m’apparait. Le simple fait de la savoir me rassure, m’assure. La pensée hésite entre deux verbes, comme si la flamme allait de l’un vers l’autre, d’un bout à l’autre de la phrase ; d’une phrase. Ici le bruit est devenu tel qu’il emplit tout l’espace silencieux de la pièce. Je ne sais que faire des mots. Je les regarde comme l’enfant qui regarde dans ses doigts une brique de légo. À chaque fois que je lève les yeux, la nuit est un peu plus tombée. C’est un bleu nuit à présent, dans la vitre, dans lequel je reçois mon reflet que la pièce éclaire. Quelle épaisseur de trait faudrait-il ? Quelle épaisseur de mot faudrait-il inventer ? Il resterait une attitude peut-être, mais elle s’oublierait vite. Faire foyer, faire arbre, serait la seule promesse qui tienne. Mais cette promesse serait à part soi.
Y a t’il quelque chose qui
Me rappelle à ma part de mystère ?
Tous les signes au contraire
Me ramènent ici, sur les marches d’escalator
Dans les couloirs, le hall de la gare
Tout me ramène ici : dans un signe travesti.
Qui s’il capte votre attention
Est pour vous prendre ce supplément d’âme.
Dans le hall, l’environnement vous souffle vos flammes
Ou elles s’éteignent par les trop forts courants d’air.
Quelle part de soi offrir ?
J’ai de la chance. Je vais pouvoir écrire, malgré tout. Par exemple, aujourd’hui j’étais au cimetière, Il y avait beaucoup de passants, un esprit comique aurait dit que les hommes étaient sortis de terre, de leur tombeau, qu’ils profitaient de la lumière de la vie. Il y avait aussi le merle, harmonieux plus qu’un autre oiseau, dont les vocalises nous amenaient loin des jours passés. C’est peut être cette grosse lune hier soir, surplombant le ciel, qui attire le printemps et tous les vivants, par le contour épais qu’elle laissa dans le ciel. Oui j’ai cette chance de pouvoir écrire, c’est à dire d’avoir un espace où consigner des phrases, des mots issus du présent comme on ramasse des bouts de bois avant de les poser à l’abri quelque part, avant la tomber du jour.
J’ai mis
J’ai mis trois francs dans la manivelle
Pour faire sortir un poème
J’ai mis, je me suis souvent tu
Il faut se taire
Mais il suffit d’une goutte de quatre pour que
Pour qu’une parole naisse
frêle tendre
On sait qu’elle portera ses fruits tard
En attendant j’ai mis
J’ai mis trois francs
On entend le petit air.
Une écriture qui dévore l’espace, en fait une pâte,
malléable
Une écriture qui transforme l’espace en soufflet
Une écriture dont la portée tient de la farce
Une écriture qui ne retranche rien, ni au silence ni au mystère
Mais révèle d’oiseaux d’obscurité.
Une écriture qui me resitue ici
Dans le monde des morts dont les vivants sont partie.
J’écris depuis ma chambre. Je suis dans la gare. Mais j’écris depuis ma chambre. La gare Montparnasse est accidentée. Les trains circulent mal. Mais j’écris depuis ma chambre. Reconnaitre ce point, cette localité, est un impérieux. Car c’est avec étonnement que la localité se manifeste. Pourrais-je être autre part tout autant. Mais je reconnais un lieu autre, parfaitement localisé, d’où je contemple les passants, la gare, les passants sous le panneau des horaires. Diantre, quelle richesse. Le second impératif est justement l’acte d’écrire. J’y suis. Y a plus qu’à. La chambre pourrait être ailleurs, ou la pièce pourrait être autre chose que l’acte d’écrire. Mais c’est ainsi. Diantre quelle chance, tant de détails tous ces détails.
Je n’ai toujours pas ce bureau dont je rêve
Mais j’ai la vue sur le ciel
Et ce ciel se trouve entre deux mots,
Entre le mot “vue” et le mot “ciel”.
Je ne me souviendrais peut-être plus des mots,
Mais du ciel ?
À présent j’éteins le poème
pour mieux observer : ce ciel
habite en moi.
Je n’ai toujours pas ce bureau dont je rêve
Mais j’ai la vue sur le ciel
Et ce ciel se trouve entre deux mots,
Entre le mot vue et le mot ciel.
Je ne me souviendrais peut-être plus des mots,
Mais du ciel.
À présent j’éteins le poème,
Pour observer, ce ciel
habite en moi.
© 2025 Raphaël Dormoy
Theme by Anders Noren — Up ↑
Commentaires récents