Littérature, écriture

Catégorie : Journal (Page 1 of 12)

07.12.2024

Je suis chez moi, en moi. Une envie immense me prend de pleurer. Le ciel est tout à fait bleu, et devant moi apparaît le toit du Panthéon. En levant les yeux je vois la Tour Eiffel. Un homme s’est jeté dans le vide il y a quelques mois. Ecrire pourrait être la façon la plus simple d’échapper au réel. C’est peut-être la raison pour laquelle je n’écris pas assez – avec difficulté. Ce pourrait être une manière de produire ce roman, cette épaisseur qui ne vient pas… C’est peut-être la raison pour laquelle personne ne s’arrête tout à fait de tourner, de transformer les secondes en agitation, d’un point à l’autre de la Terre, de l’appartement, qu’il est si difficile d’être sage de se poser. L’étrange familiarité me saisit en me trouvant dans cette pièce, de me sentir chez moi, de l’avoir toujours sue, alors que les clés m’ont été remises tout à l’heure. Je regarde en direction du dôme. Le travail pécunier ne vient pas. Peut-être a-t-on décidé de m’accorder un temps, aujourd’hui. Le bruit qui vient est celui d’une soufflerie, basse, tout à fait réconfortante, car lointaine ; et des bruits de la structure comme le vent est présent. Ici, je me sens tout à fait chez moi. Je pourrais m’installer dans cette pièce : qu’apporterai-je ? Quelques livres de poèmes, peut-être oublierais-je le reste, je veux dire tous les ouvrages scientifiques, des naturalistes, les livres d’économie. Je garderais les livres comme les reliques d’un lieu simple, de ces chapelles qu’on trouve au sein de villages abandonnés, au flanc de falaise, mais qui gardent un sens profond de l’hospitalité, par leurs parures essentielles et discrètes, et ces quelques témoignages de visites, qui disent qu’elles ne sont pas oubliées. Il serait un canapé aussi, pour s’asseoir, réfléchir, dormir. Une chaise, une table ; Eh bien sûr le silence. Je n’ai pas d’autres besoins, et rien de cet ensemble ne nécessite aucune agitation. J’ai besoin de cet espace pour écrire ; mais si l’écriture se produit à cet instant, est-ce le fait de cet espace total qui revient au centre de la pièce : peut-on imaginer un écrivain privé de son matériel ? Il serait tout à fait nécessaire de m’enfermer à double-tour ; et de rester longtemps ici ; c’est bien cela : l’écrivain a besoin d’une pièce à soi : un lieu connu de lui seul.

30.12.24 – tgv

Je me retrouve dans le train. Je ne fais pas vraiment exprès. J’y suis. Je voyage pour de bon. Un Paris-Montpellier. Le 6229 de 10h42. Je lève les yeux, j’y suis. Tout va bien. Tout est normal. Tout est terriblement normal. Trop. Je vieillis. À l’exception du désastre fonctionnel des paysages, des habitudes, de la parole, tout est normal. Derrière moi un homme anime le moulin à paroles, d’une manière monotone, pour ne rien dire jusqu’à la mort certainement. Mon fils joue avec sa console. Une demoiselle assise face à moi dans l’autre rangée, dans le carré des quatre sièges, alterne son attention ente son livre et son téléphone. Notre vitesse actuelle est de 286 km/h nous informe Pascal le conducteur. Quelqu’un a pété. Quel enfer ! Le voisin de droite imite mon voisin du derrière. Il anime lui aussi le mécanisme d’un moulin à paroles fat, heureux, sublime. Peut-être la scène a-t-elle lieu sur une autre planète, une planète mauve orangé, avec dedans des voyageurs qui expriment des flatulences heureuses à hauteur de jour. Le merveilleux se tapit bien quelque part, survient subrepticement, entre les centièmes de seconde. J’y suis, crie-t-il ! Je viens de le voir surgir dans la rame, comme on sortirait le visage des nuages pour explorer le soleil. Mon voisin fat souffle au-dessus les nuages. Tout ceci du train tient par une loi universelle, tacite. Une destination convenue, une organisation qui nous pousse en cette rame ; chacun son numéro. Que d’effort sur le néant. Que de conquêtes. Nous venons d’entrer dans un brouillard épais. Mon voisin de derrière me fait l’effet d’un crapaud mort, presque mort, qui coasse, qui coasse comme on coasse pour se tenir à quelque chose. Quelqu’un a de nouveau pété. Mais une odeur de mandarine arrive par-dessus. Sa voisine le relance. Mais elle semble moins animée, comme une clochette dans le vent faible. L’équinoxe dit-il, l’équinoxe.

23.12.2024

Apprendre, accepter cette part qui fait que je ne suis plus tout à fait au même endroit
Et que seul la part lucide entremêlée des rêves me fait constater
A plusieurs reprises ; me montre un autre chez moi,
Que je reconnais. Qu’ai-je ramené ?
Une sensation, une émotion, une impression ?
Me souviendrais-je demain
Quand je retrouverai ce texte au hasard des feuilles dispersées
Ou ceci ne sera-t-il plus qu’une sensation vague, qu’une amorce de rêve,
Qu’un morceau de papier qu’on garde pour la photo.

 

23.11.2024

Je suis chez moi. Je transcris le poème. Je lève les yeux, je souffle un bon coup. Je lève les yeux. Je me vois dans le store, dans le reflet, dans la vitre. Il est 18 h 53. Je regarde mes doigts qui tapent sur le clavier. Je me regarde à nouveau dans le reflet, tout à fait suspicieux. Le linge tourne dans la pièce à côté. Pourtant, tout est là, à sa place. Le reflet du verre est là, il bouge si ma main déplace le verre sur la table. Dans le reflet de la pièce la lumière derrière moi m’indique qu’une lumière est derrière moi, et je me tourne en effet : elle est bien là, je suis bien là. Je souffle un bon bouc. Je regarde mon reflet, un sourire de diable se dessine, c’est certain je me scrute. Qui parle ? Il existe quelqu’un entre lui et moi, et ce quelqu’un est moi-même : mais dès lors moi disparaît et lui s’éteint. Comme une flamme au bout d’une mèche. La flamme se rallume. Je lève les yeux. Mon reflet me regarde dans la vitre, tout à fait suspicieux pendant que j’écris. On dirait qu’il n’est pas content, qu’il va me sauter dessus. Je souffle un donc à l’attention de qui, allez savoir… Je regarde mes mains taper sur le clavier. C’est vertigineux, on dirait qu’il a fait ça toute sa vie. Mais qui est « il » ? L’index frotte le pouce. Il ne sait. Quelqu’un d’autre me regarde. J’accepte la situation. Un frisson parcourt mes bras jusqu’aux mains, le corps. Les poils se hérissent. Je ferme les yeux, je respire avec une attention plus marquée. Suis-je à l’endroit que je crois être ? Le bruit de la machine à laver me parvient mais je perçois que le bruit n’est pas celui de la machine, mais de ma reconnaissance ; je me laisse bercer par ce bruit autre, qui donne une étrangeté à l’espace où je me situe. Je me souviens à présent être nulle part, tout à fait nulle part, je veux dire sans date particulière ; j’aimerais ouvrir les yeux pour savoir où je me situe ; mais à défaut j’ouvre mes yeux, mon index éprouve une difficulté particulière à taper ; j’aimerais me reconnaître, mais la première fois est la plus… je n’arrive pas à trouver le qualificatif qui ferait que la phrase entre jusqu’au trou — étonnante, difficile ? Mon corps insiste pour me gratter le bras, le nez, la nuque, l’autre bras. Je reviens ici, une décharge se manifeste en l’écrivant. Ici est circonspect. J’ai de la chance d’habiter cet ici comme la peau sa pomme… “Comme l’appeau sa pomme, comme l’appeau sa paume” tapent les doigts. Ils s’en vont dans la nuit.

Pièce, chez moi, 18h53, 23.11.2024

18.11.2024

Qui ? Quoi ? Tout semble trop familier ici, dans cette salle d’attente. Neuf personnes, dont moi. Quatre chaises vides. Une table basse rectangulaire au centre de la pièce rectangulaire. La table est vide. La pièce est décorée d’une plante, mais à cette distance je ne peux saisir si elle vraie. Près de la fenêtre, la bouche de la personne fait un bruit de chips, auxquels s’ajoute celui du sachet que sa main plie et déplie avec discrétion. Quelqu’un tousse. La page d’un livre se tourne. Chacun dit Bonsoir. Tout semble trop familier ici. Devant moi, il est au mur un cadre avec un pont de cordes qui ouvre sur un paysage d’arbre dans le brouillard. Tout va trop bien. Tout est trop stable. La table est la table. La salle d’attente est la salle d’attente. Ma chaise est ma chaise. Et dehors est dehors. Mince. J’ai bien fait de venir.

Salle d’attente, 6 Pl. d’Italie, 18h28, 18.11.2024

19.11.2024

Il pleut. Chaque goutte contient le “il pleut”. Chaque goutte qui goutte. Je suis chez Pho Viet. La décoration est spartiate. A coté de moi, il est une plante factice. Deux femmes déjeunent sur la banquette (et racontent des histoires). Je suis dans le 13e, au 115 boulevard de l’Hôpital. Les voitures passent dans la devanture, dans les deux sens. J’ai cette chance de manger. Il pleut. Chacun est à sa place. Chaque chose est à sa place. J’ai cette chance. Dans le bol, tout est à sa place : nouilles, coriandre, carottes râpées, une, deux… Remuez, dit la serveuse. J’ai cette chance. Chaque mot est dans son objet. La fourchette est dans la fourchette. Le bol dans le bol. J’ai cette chance. Et le verre dans le verre. J’ai mal aux dents. Il pleut.

Chez Pho Viet, 115 Bd de l’Hôpital, 19.11.2024, 12h37

09.11.2024

De peu de mots faire la terre, le ciel, la mer. Vois mon pouvoir. Être ailleurs, c’est donc que cet ici ne suffit pas ? Ou que cet ici permet d’être ailleurs ? Le bloc vient de bouger, un bloc mal scellé de mots ; l’extraire : « Être ailleurs, c’est donc que cet ici ne suffit pas ? Ou que cet ici permet d’être ailleurs ? » Mais alors, quoi se vêt derrière ce bloc ? Quoi se meut dans cette obscurité ouverte ? Où la main elle-même devient main sans être main, quoi se cache ici comme le bras pénètre sans que bras y soit. Et, quelle est la vertu de ce tapis sur lequel mes pieds, ma main droite, le bout de mes doigts sont posés. Quelle est sa vertu de chose que l’intellect nomme tapis ? Quel est cet ici dans le corps dans lequel le corps interroge cet ici ? Quelle vertu donner aux mots ? Quelle vertu donner à : cette chose qui pose des mots, à cette chose qui tient entre ses mains l’enregistreur. Quelle est cette chose qui à l’aide de l’ouïe de l’œil d’une langue, de cette unité, décide de mettre sur pause l’enregistreur pour connaître, pour savoir quel silence entoure les mots, qui permet de les mettre l’un après l’autre. On comprend que c’est la tension du silence sans laquelle les mots chuteraient, tomberaient, que c’est la tension du silence qui : ouvrage. Et en toute chose, il reste la fascination de ce bloc de mots, mal scellé ; non du bloc lui-même, mais de l’espace noir rendu à cette liberté d’y mettre une main sans main, un bras sans bras, ce trésor d’obscurité comme ceux qu’on découvre parfois dans le mur des maisons anciennes.

08.11.2024

Évidemment que… évidemment que… Ce double mouvement m’interdirait, me laisserait à côté ; sur le muret. Je laisserais la route aux passants, à la route elle-même, et la tentation serait grande alors d’y mettre les pieds, de tester l’équilibre, mais ceci pour rire. Évidemment que… évidemment que… Évidemment que je ne suis pas là ; que j’en fais part, mais que je n’en suis pas, malgré mon intellect qui me colle cet ici contre le corps, comme une grosse bulle. Rien à faire, cet autre en moi s’y refuse, condamne l’acte, se met à hurler : Non. Je peux évidemment prendre la grosse bulle dans les bras (Elle est plus grosse que moi). Évidemment que je ne sais qu’en faire une fois que je la tiens. (Qui jouerait avec moi ?) Et qui la voudrait. Elle est encombrante. Alors il vaut mieux ne pas penser, ne pas trop penser, accepter : remettre le bras dedans, la tête, l’autre ensuite, l’enfiler jusqu’au pied, souffler un peu pour la mettre à distance. Retrouver le siège. Le ter arrive bientôt en gare de Rambouillet. Chacun, chaque chose, est à sa place. Le ter est le ter. Évidemment que le bleu du ciel qui sourit n’est pas pour ici. Pour tout de suite. Pour maintenant. Pourtant deux meurtrières feraient Oui de la bouche. Évidemment. Nous sommes vendredi. Le ter est le ter. Tout est reconnaissable. La banderole électronique qui défile dans le rectangle d’information, il est écrit dedans en lettres orange : « Tout est bien ».

16.09.2024

Il faut prendre le mot et le tordre, surtout ne pas suivre ce que montre l’œil, ce que montre le torve, ne pas tomber dans le piège, et conséquemment tomber dedans, dans l’œil. Ouvrir le mot : ce qui spontanément ouvre les rêves. Au bout d’une forme, le mot ne revient pas en son état antérieur. Le mot reste là abandonné, laissé comme une épave à l’intérieur du parking. Les rêves continuent d’entrer ci et là, comme on cligne des cils sans faire l’effort du paysage. Lequel attraper ? Le propriétaire peut-il nous rencontrer ? Le propriétaire d’une maison devenue plus réelle que la mienne à cet instant du rêve. J’imagine qu’il en va de même pour tout : pour tout ce qui nous tient, dans notre quotidien. Je parle des soucis, des dettes. Aussi réels que cet instant de rêve. Comment les gens font-ils pour se reposer, pour que leurs jambes au milieu du mouvement ne restent pas en l’air, qu’ils en sortent, qu’ils se reposent vraiment. Tous ces mots à la fin du jour représentent certainement les cadavres de certains bonbons que le corps a juste léchés. Par conséquent, la journée de demain sera aussi douce qu’aujourd’hui, et sera délayée de tous les éléments compliqués ; les admirateurs pourront naturellement s’y baigner.

 

31.10.2024

L’époque n’attend rien ; elle nous fixe. Cela fait si longtemps que je suis là que je ne sais plus bien si le monde ressemble à ce qu’il était. Elle écrase beaucoup de nous comme il faut libérer. On peut voir le ciel étoilé, se soumettre à sa perspective, à la profonde heure, à l’absence même de direction, au vertige, le ciel ne nous sait pas plus qu’un sol qui se met à saigner. En même temps, celui qui croit tient la bougie dans sa main, qui reste main quelle que soit la circonstance. Les grains de poussière assèchent la peau, mais l’homme tient encore au miracle jusqu’au haut de la lumière. Le ciel étoilé reste silencieux, dit l’enfant. Parmi les points, il jette une virgule. Et puis, tu pourrais apprendre à respirer avant la suivante inflexion du corps. L’époque nous a fixés aux chaises. On les espère à roulettes, qu’elles nous emmènent au dernier salon et qu’elles nous fassent en un claquement de doigts plonger là où l’air est bon. D’autres se satisferont d’une image pieuse, plutôt que jouir de l’espace vide collé aux sens qui rassure, quand d’autres rêveront le lieu dans un magazine, et s’offriront le carré blanc, en attendant la fin qui ne vient pas, qu’on repousse chaque jour. Il est ce siège – Il faut savoir apprécier, l’évaluer – dont chacun doit saisir la portée avant de porter sa vie dans ses aspérités. Il faut être solide, mais pour combien ? Le soir est déjà là que le matin s’éveille, que l’enfant a grandi, que le visage ne ressemble plus à celui que soi avait construit de soi. Il faut faire avec et prendre chacun de ces « Il faut faire avec » pour confectionner un filet de pêche ; accepter la condition, à la condition que soi ait l’avantage du premier pas, non de la direction, mais dans la certitude que le premier pas n’est pas désappropriable. Et qu’au contraire il faut apprendre à marcher dans ce premier pas comme l’enfant qui glisse dans le toboggan. Dans la direction, choisie par le fait qu’elle amorce son mouvement. Les paroles sont des herbes hautes, qui caressent votre corps, qui vous caressent le visage, qui caressent le corps. Cela suffit à rendre digne la plage. Mais alors quelle publicité ferait-on ? Elle serait aussi ridicule qu’une idée complexe. La posture nous sauvre le livre, l’écrit, et donne peut-être à la page une dureté de coque, et pourquoi pas friable, gourmande.

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