Tu as vu la lune
Dit-il à son ami imaginaire
Elle est rousse
Ville en carton
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Regarder le ciel, regarder le bleu
Regardez le bleu, vraiment
Pour la première fois
Même si maintenant
La lumière rend le ciel laiteux.
Regarder le bleu, tenter de le retrouver
De s’en souvenir,
Mais il a disparu.
Un nuage à la forme d’une méduse passe
S’il pouvait dire Une méduse à la forme de nuage passe,
S’il pouvait dire ceci, le bleu aurait-il reparu ?
La méduse a disparu, elle aussi
Il reste un ciel plus laiteux
Presque une surface blanche
Sur laquelle il aimerait pour la première fois
Dire ce bleu.
Au bout de la ligne
la mouette
il tire ; rit-elle ?
Au bout de la ligne
le ciel
la mer et les vagues
et les coureurs qui passent sur la langue de sable.
Au bout de la ligne
la mer
les vagues et l’enfant
et les ricochets que la mer fait dans les yeux de l’enfant.
Au bout de la ligne
le vent, — vent constant
qui agite ombre comme étendard.
Au bout de la ligne
le désir ! le désir !
Et l’homme resté tout le jour s’enfonce dans la mer
et la jette au plus près du soleil.
Nulle part nulle part
Mets-le en écho en porte-voix, à la station de bus
Tout bu jusqu’à la lie
Nulle part
Seuls les emblèmes sur les calandres des voitures me feraient adhérer à l’actualité d’un monde
Seuls les horaires des bus affichés à la station de bus me feraient croire en l’existence d’un temps
Seuls l’asphalte et la ligne blanche me feraient croire en l’existence de règles et d’une technologie contemporaine,
Tandis que le soleil descend et que le bus ne vient pas
Nulle part
Parmi les euphorbes les scabieuses maritimes et les cannes de Provence.
Des boules de sable,
Voyons voir ce que j’ai
Et voilà dix boules de sable, dit mon fils
1 euro la boule de sable
Onze boules de sable,
On va pouvoir vendre beaucoup de choses
Papa, les coquillages sont incroyables,
Tous les coquillages que je trouve sont incroyables
Regarde à l’intérieur. Regarde là.
C’est incroyable n’est-ce pas
Il ne manque plus que la ficelle
Qu’est-ce qu’on va faire des boules de sable.
Le poème à la boule de sable.
11 h 20.
15 minutes. C’est le temps dont je dispose pour un écrire un poème.
Je suis assis sur une chaise.
Je suis dans la Halle des expositions, ligne 9, transformée en vaccinodrome pour cette occasion.
Je suis assis sur une chaise.
Je suis à l’affût du poème, ou pour être exact à l’affût du signe.
Mais, être assis sur une chaise est en soi un extraordinaire.
Et plus encore, dans ce monde où chacun de ses attributs fait sens.
Je me lève, je me rassois. C’est un quart d’heure, me dit-on.
J’ai envie de serrer quelqu’un dans mes bras. Je pourrais toujours prétexter des effets secondaires de la seconde dose.
Sous le plafond, il y a des pictogrammes. Que lirait un enfant ?
Je me rends compte que chacun des hommes assis sur chacune des chaises est un pictogramme.
L’espoir serait de se dire que nous pensons tous la même chose, au-delà de la représentation qui fait de chacun de nous un pictogramme assis sur une chaise.
Mais les liesses sont pour des événements particuliers, jamais pour célébrer le réel.
Il est 11 h 29. Je suis en avance sur mon temps.
Fermer les yeux, c’est tout.
Mais les fermer loin longtemps
Comme on plonge dans l’océan.
Mais l’épaisseur des cigales, nombreuses — plurielles.
Fermer les yeux est un acte d’éveil
Pour se retrouver ici, au même endroit,
un étage plus haut.
Il ne tiendrait qu’à soi de faire tinter la clochette
qui libère parmi soi, autour de soi dans les hautes herbes,
le rire embusqué.
Les cigales n’ont pas alenti le temps
Elles ont écrasé les secondes, vaines
Le corps meurtri se revigore au soleil Ou
est-ce l’ancien monde qui se craquèle au soleil, comme mue sous un frêne malade.
Je pourrais avoir l’âme du papillon, dit-il
avant que ce “Je pourrais” soit en fait l’exact motif de ses ailes,
fragile agile acrobate.
Et le café penché sur la vallée
a retrouvé sa ligne terrestre.
S’arrêter, ça y est
J’ai trouvé un banc, boulevard du Montparnasse
Je peux m’asseoir
quel vertige de s’arrêter
L’épaisseur du monde vous revient à la gorge
vous enserre le coeur.
Ici les rares vivants visibles à l’oeil humain sont les végétaux et les humains
Et, et le pigeon qui passe,
Et, comme chez les humains, il faut croire que l’olivier a plus de vie vivante que le platane,
Ou cet olivier a-t-il simplement plus de vie vivante que ce platane.
La vie les vivants le bruit dedans devant la devanture,
les corps sont magnifiques lavés de leur reflet
Et les enfants n’ont pas d’autres choix que de suivre la main (qui les nourrit)
La feuille de platane sur l’asphalte, tout abîmée, contient plus de promesses que les promesses de voeux de la lampe magique.
Et, me souvenir de cet instant, ou à défaut, rendre grâce.
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