Cette nuit, j’ai fait le rêve d’une grande voiture bleue. Une longue et large Cadillac. Le rêve était particulièrement clair, la route particulièrement nette, si bien qu’il n’y avait pas de discontinuité entre l’éveil et le rêve, même si en ouvrant les yeux la Cadillac continuerait sa route. La Cadillac était bleue. Était-ce une Cadillac ? C’était une belle voiture bleue, sans roues. Elle roulait dans les airs, au-dessus de la route. Une belle voiture bleue, couleur ciel ; elle lévitait, parfaitement silencieuse. Et moi, j’étais à l’arrière de la voiture, debout dans les airs, sous le parechoc, les mains accrochées au chrome, dans la confortable position des nageurs, en bord d’eau, se reposant près de l’échelle, sans effort de poids. Et je glissais. Et nous avancions, ma Cadillac et moi. Cela fait longtemps que je n’avais plus fait un rêve aussi net que celui qui se présente, comme si l’œil était extérieur au rêve, un rétroviseur dont la seule fonction est de réfléchir la lumière. Il me souvient du pot d’échappement, dont je respirais quelques particules. Mais ces particules étaient en fait un succédané de la vie éveillée, un article de presse, de la précédente journée. Au réveil, alors que je quittais mon lit, je savais que ma belle Cadillac continuerait de rouler.
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Non, je ne suis pas mort. Mon regard n’a rien perdu de sa superbe. Je souris. À présent que je marche, que j’ai loisir de marcher, – et gare aux jaloux, aux loups, aux feux, au tigre de Bengale –, je peux, à la différence du pigeon qui – objectivement – semble être complètement désaxé, je peux, je peux marcher et, chaque fois que je pense à l’avenir, c’est de manière inadéquate, puisqu’il s’agit de ne pas me concentrer sur le présent, mais de légitimer quelque chose du passé, d’un avenir qui n’a pas eu lieu dans le passé – ce contrat que je n’ai pas eu, cette femme que je n’ai pas embrassée – en gros, au détail, au prix de gros, des occasions pour la plupart choisiment manquées, et au diable les étiquettes, les oriflammes, ces tue-mouches, les ouvre-boîtes, les boîtes de conserve, et toutes ces images qui me collent à la peau, oui au diable, concentrons-nous sur le présent, ô joie, quant à l’avenir, laissons le présent nous emballer.
Les champs de tournesols
Nous marchons sur l’Yonne
Les chants d’oiseaux
Il n’y a pas d’échappatoire puisque Poésie est
Il n’y a pas d’autre monde que celui qui se présente
chaque fois que l’homme ouvre les yeux
le saluent
Parfois il faudrait une allumette pour se rappeler
Ou une amulette qui se mettrait à crisser chaque fois que les volets se ferment pour nous désigner la transparence.
Mais à présent, tout me conduit en Lui : monde à l’état brut, sauvage, terriblement familier,
où chaque détail révèle sa nature, sa présence
Dans le parc où je me situe, les bancs sont des sculptures; des livres à ciel ouvert sur lesquels les passants ont posé leurs fesses,
Les pigeons, pourtant mièvres d’habitude, nous indiquent, par leur présence et leur vol, une direction, du moins une correspondance.
On voudrait croire à l’illumination, au surgissement synchrone de la pensée avec ce qui entoure, par le tintement des cloches
Mais la page se referme pour laisser le champ libre et vierge.
Certaines paroles se diluent
le ciel est saturé
cela n’ôte rien de la mécanique perceptible, imperceptible des êtres
Au contraire, les lettres posées sur le monde semblent plus denses,
sans que les mots n’aient de sens
Puisque le livre est fermé, que ces personnages sont libres, que ses personnages errent parmi les vivants, et les vivants parmi les morts, et les vivants parmi les personnages de fiction, comment trouver l’issue, et la fuite : le point de perspective qui redonnerait au décor sa dimension première, sa dimension narrative, sa dimension de papier, pages qu’on ouvre et qu’on ferme, qu’on livre et qu’on ferme. Ainsi, le narrateur, pour la première fois, ferait le pari de sa fiction, au risque de ne plus paraître parmi ses contemporains.
Les deux portes-fenêtres l’une ouverte, l’autre fermée
le soleil inonde la pièce comme j’ouvre un oeil
et lui redonne son exact volume,
volume de belle espérance
d’un à venir déjà clos dans le présent
redonnant au présent son entier volume.
J’ouvre les yeux et je souris de cette espérance
comme si toute l’épaisseur avait été lavée
et que je retrouvai mes yeux d’enfant dans un corps nettoyé et lavé.
Ces sales caractères, difficile de les effacer, de les dépasser, de les déplacer. Et rage et rajoutez-en : il n’est pas plus facile de couper le fil. Tout vous plombe. En chaque pore, ça s’accroche. Rien ne sert de tirer, ça s’accroche. Et l’arme descend lentement. Il faut être patient. Baver le moins, sortir les pinces (c’est une image bien sûr). Ne rien faire, patienter. Jeter l’ancre, comme on dit. Ne rien faire, patienter. Laisser venir. Se contorsionner. Laisser venir. Laisser venir, puis rendre tout noir. Laisser l’encre s’immiscer jusqu’à tout recouvrir. Attendre que la lucarne s’ouvre. Puis d’un bras leste, disparaître.
Discutez, discutons,
mais sait-on la qualité d’une conversation
à la qualité de ses silences.
Discutez, discutons.
Elle est intarissable : son débit, son flux, c’est un flot immense,
comme si le saumon remontait à la source.
Son partenaire rame un peu.
Moi, je suis sur le bord, sur la table à côté,
terrasse ouvert, nous sommes le 31 mai.
Je sais que tu es là.
Allées de marronniers ; lumière
Les enfants, les passants, passent
(et même les pigeons)
et même les marronniers dans la beauté du monde
Lumière et mouvent, lumière et mouvement
Ce “me” furtif m’émeut.

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