L’homme marche pressé. Pressé par quoi ? Est-il amoureux ? Ça ne se voit pas. Ni sur son visage ni sur son cœur. Il est pressé. Il tient une vitre. Ses lèvres sont pressées sur la vitre, dirait-on ; ainsi que son corps, poussé par une force non visible, cependant intacte. Pressé par quelle demeure ? Quels fils autour de lui seraient tendus, pour le faire voltiger ? Pourtant cet homme ne se rend pas au travail. Il n’a pas non plus de pédigrée, ça se voit. Il n’est ni chirurgien-dentiste, ni fleuriste (les bouquets, ça presse). Par quoi cet homme serait-il pressé, préoccupé ? lui qui semble éloigné de tous soucis, de toutes contraintes (il marche vide). Plus il se presse, plus son visage est écrasé dans la vitre qu’il tient dans ses mains. On a mal pour lui. Par quel mystère cet écrasement procède-t-il ? Comme ce monsieur s’épuise et s’agace à vouloir s’écraser la joue, le nez, la langue, les dents dans la vitre, il fait de drôles de mouvements, de côté avec ses bras, de côté avec ses jambes, comme s’il tentait de contourner l’obstacle, ou de forcer cette vitre, qu’il tient fermement dans ses mains. J’ai mal pour lui. J’accours. Il s’enfuit. Je m’approche. Quoi, me répond-il. Je reprends. Mais enfin, me répond-il ! que me voulez-vous, fait-il, en ôtant ses bouchons d’oreille. C’est pas bientôt fini, hurle-t-il. J’en ai mal aux tympans. Vous n’entendez pas ? Il pose sa vitre. Vous n’entendez pas comme le monde autour de nous est calme ? — totalement silencieux. Moi, ce n’est pas que je fais la sourde oreille, mais j’ai mal aux oreilles. Je réponds oui, sans trop m’entendre. Malheureux, dit-il, vous n’entendez rien ! Sinon ah, sinon ah, vous brilleriez d’un autre éclat, d’un autre éclat dans vos yeux : ça se verrait. Et vos poumons se gonfleraient de joie, vous seriez comme un crapaud boldèque (c’est pour l’image, fait-il en roulant des yeux). Oui ! Et de la poussière jaillirait de vos doigts, de la poussière d’or, fait-il en levant les mains, en agitant les doigts. Ses ongles étaient tout sales. Je jardine, dit-il. Je fais pousser des patates, dit-il, d’un clin d’œil si appuyé que ses deux yeux se fermaient ensemble. Je compris que c’était peut-être sa manière légère à lui de battre les paupières. À présent j’y vais. J’y vais, j’ai fort à faire, dit-il en sus.  Ce « fort à faire » me fit l’effet d’une bouteille. A la mer. Avec ses remous. Je fus pris d’un gros chagrin. Allons. Ses yeux s’ouvraient dans le loin. Il lécha ses mains, me les serra, remis son bouchon d’oreille, leva sa vitre et la porta à son reflet (vérifia les microrayures, souffla, souffla bien) et, furieusement s’écrasa le visage sa bouche son nez dessus et se remis en route, plus pressé que jamais.  

3 mai 2019