Ah, ça y est j’ouvre les yeux. Je me retrouve à nouveau là. Un simple moment d’inattention et je retrouve les lieux, la scène ce par quoi tout commence. Si je regarde le reflet dans la vitre une nostalgie de l’ancien monde renaît. Mais restons là. Dans le train à présent que j’y suis. Que j’y suis pour de bon. Ne nous laissons pas distraire par les atavismes qui font que le verre sur la table qui roule tombe. Et se casse. Restons là un instant. Un instant encore. Mais je l’ai perdu, déjà perdu. Le reflet est le reflet de son image et l’image son reflet. C’est cuit . C’est mort. Ah non pas encore. Ça revit ; j’y suis. Malgré. Ah non ça y est. Le reflet est l’image. Merde alors je demanderais volontiers de l’aide aux autres passagers qu’ils me retiennent, me maintiennent dans les lieux. Ça y est, j’y reviens. Attrapez-moi, attrapez-moi. Gardez-moi ici. Avec vous. Maintenez-moi dans l’étrangeté de ce drôle d’endroit. Dans l’étrangeté du monde ; qui rejoint, à l’horizon du point, celle des goûts d’une époque. A-t-on idée d’inventer des sièges avec des accoudoirs, dans un tissu rayé avec cette drôle de chose lisse qu’on nomme appuie-tête. Mais peu importe car là n’est pas la question. La question est celle, est celle : l’évidence même de l’étrangeté. Je me regarde discrètement dans la vitre. Je me regarde du coin de l’oeil. Ah je me fais rire franchement. Ah les amis restons ici encore un instant un instant un tout petit instant. Ah ah. Chaque humain voyage avec ses habitudes : son téléphone, ses feuilles à corriger, son petit chat à caresser, une autre a les yeux trop emplis de passé. Ah si je voyais à cet instant celui qui serait moi, faire des ronds avec l’index sur le tissu du siège, je le comprendrais lui aussi avec son habitude. Je le comprendrais comme celui qui ferait ce geste comme pour fixer le souvenir d’un ricochet par celui d’une cerne. Tournoyer l’index dans un sens en regardant le reflet de l’index tournoyer dans l’autre sens. Ah comme cet endroit est extraordinaire. Et que ces mots restent, qu’ils soient la vitre du TER par laquelle je puisse voir encore, tantôt le reflet en son dedans.
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Ah si je pouvais faire un pas, un petit pas de côté.
Mais pas encore.
Je pourrais m’allonger dans le présent, pour me rendre avec lui.
Oh chien fidèle, oh vieux compagnon !
Toujours là, frétillant : à m’attendre
M’attendras-tu, longtemps encore ?
Ah si je pouvais faire un petit pas,
Ce petit pas ce petit pas de côté.
La caresse de la langue.
Les hommes sont dans leur voiture de pensée.
Mais pas les arbres.
Il klaxonne. Les phares éblouissent le passant.
Pour la première fois, je vois la place.
Tant de détails qui restaient cachés, se soulèvent.
Mon inquiétude de cette découverte se lit dans mes yeux.
Et encore je ne regarde qu’un côté de la place, que d’un côté du banc.
Le banc tremble.
D’autres ont ils la chance d’avoir le regard qui marche, quand ils passent ?
D’autres connaissent-ils cette place aussi bien que je l’ignorais.
Je la traverse depuis des années.
D’ici, de ce banc, pourrait-on saisir le monde dans ses bouleversements, ses soubresauts ? sa constance.
La place s’est illuminée. Il est 17h57.
Je regarde le sol.
Le vertige.
Quand les volets sont clos,
Que puis-je : dire ?
Une partie est sur le point de commencer.
Cette simple perspective, nouvelle
Me met en joie.
(Il suffit en plus que le métro traverse la Seine.)
Une simple partie commence,
mais quelle est-elle ?
Ah, un imbécile sourit dans la rame :
J’attends, j’attends, dit-il en tapotant.
Les gens autour sont bien étonnés.
Une femme chantonne une mélodie.
Les portes s’ouvrent,
J’emporte son petit air, près de moi,
Près de moi.
Il lève les pieds
Il recule
Le chercheur de lune
Le fenêtre est plus sale
Est-ce le brouillard ou la pluie ?
Mais il suffit d’ouvrir
pour que naisse le monde, à nouveau.
Tant cette virgule est importante :
Le loquet.
Finirait-il par connaitre chaque arbre,
Chaque parcelle chaque pierre
L’espérance serait ainsi.
Archaïque celui qui ;
La femme ouvre son écran pour en faire sortir une partition avant de la ranger. Les pages numérique défilent comme une partition au vent fort.
Mais après tout, son instrument est à ses pieds, couché.
Archaïque celui qui
Regarde les mots en lui comme du gros fer.
Verrait-on un homme en armure entrer dans le TER et s’asseoir, tandis que son cheval hennirait, sortant la tête en bout de rame ?
Archaïque celui
Qui regarde la neige à travers la vitre de nuit,
Même si la neige ne tombe pas,
Ne tombe plus.
Archaïque celui qui sait voir le mystère
Est étonné du mystère,
Et sait le déchiffrer
Comme la musicienne sa partition.
la lune au-dessus
des pins parasols
boivent le soleil
Monde contraint, les murs se sont refermés. Mais j’ai ma chambre, dans laquelle tient tout. Sauf l’espérance. L’espérance est un oiseau – volage allais-je dire, et la fenêtre est toujours ouverte ici, et ma chambre est toujours prête à l’accueillir. Je n’écris plus depuis de nombreux mois. Le monde s’est refermé et j’ai ma chambre. Bien sûr cette chambre pourrait disparaître. Il suffit d’un accident, minime. Comme glisser, pour que le mur se fissure. Mais l’espérance nous pointerait, derrière la fissure, la mer. Et puis force est de constater que tout va bien, que la santé est bonne, que je ne manque de rien ; même si l’avenir n’est pas acquis, ne l’est jamais. Ceci, cette chambre, doit être mis quelque part, au fond de mon cœur. Chaque jour que je sors, que chacune de mes adresses se souvienne de ma chance. Car cette chambre contient beaucoup. Tout le monde m’attend ici. Et si comme cela m’arrive depuis quelques mois, même si j’oublie l’espérance, il faudrait que j’aie au fond de mon cœur son souvenir ou sa part vivante. Mais comment faire ? Je retrouve parfois quelques poèmes. Mais comment se souvenir du feu qui n’éclaire pas ? Comment se souvenir de la flamme qui ne crépite pas ? J’ai cette chance, j’ai cette chambre. C’est un là au fond de soi. C’est peut-être avec un peu d’entraînement qu’elle pourrait m’accompagner au quotidien, à mes rendez-vous, et lors de mes rendez-vous manqués.
Effondrement du corps. Effondrement du texte. Que faire d’une telle circonvolution ? Comment agir ? comment créer ? Tout, ici ou bas, mange le sens, le dévore. Quelle part alors garder ? Quelle part alors garder au fond de soi ? Je me souviens d’une flamme, d’une petite lumière sans âge m’apparait. Le simple fait de la savoir me rassure, m’assure. La pensée hésite entre deux verbes, comme si la flamme allait de l’un vers l’autre, d’un bout à l’autre de la phrase ; d’une phrase. Ici le bruit est devenu tel qu’il emplit tout l’espace silencieux de la pièce. Je ne sais que faire des mots. Je les regarde comme l’enfant qui regarde dans ses doigts une brique de légo. À chaque fois que je lève les yeux, la nuit est un peu plus tombée. C’est un bleu nuit à présent, dans la vitre, dans lequel je reçois mon reflet que la pièce éclaire. Quelle épaisseur de trait faudrait-il ? Quelle épaisseur de mot faudrait-il inventer ? Il resterait une attitude peut-être, mais elle s’oublierait vite. Faire foyer, faire arbre, serait la seule promesse qui tienne. Mais cette promesse serait à part soi.
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